Le propre et le sale

Georges Vigarello, Le propre et le sale. L’hygiène du corps depuis le Moyen Age: l’historien Georges Vigarello a étudié la question de l’hygiène dans ce livre très dense et (parfois un peu trop) érudit. Le titre est vaguement trompeur, sauf si on le lit avec attention: il commence en effet après le Moyen Age, à un moment où l’eau fait peur parce qu’elle serait en partie coupable des épidémies comme la peste. Hommes et femmes ne se lavaient plus; on se frottait le corps avec un linge sec et on changeait de chemise le plus régulièrement possible. Les sources ne parlent quasi que de la haute société, monsieur et madame tout le monde ne sont pas vraiment abordés et Vigarello s’intéresse peu à eux dans la première partie du livre. A partir de la fin du 18e siècle, l’eau commence à être apprivoisée et cela provoque des grands changements dans l’architecture des maisons et des villes (avec notamment la construction des égouts).

Le livre est intéressant mais je le trouve un peu sec. Vigarello parsème son texte de citations historiques et décrit ce qui se passe. Il montre comment les corps sont traités au fil du temps, il aborde les changements de la société et l’attrait grandissant pour la propreté. J’ai trouvé ce livre peu vivant alors qu’il parle justement de la vie et de la mort, des habitudes qui touchent au plus près de l’être humain mais cela reste un ouvrage intéressant sur le sujet. Cela s’explique sans doute par le fait que ce livre a été publié en 1985, et que depuis la manière d’écrire l’histoire a beaucoup évolué. Mais pour un livre de 1985, il reste malgré tout très digeste.

Georges Vigarello, Le propre et le sale. L’hygiène du corps depuis le Moyen Age, Editions du Seuil (Points Histoire), 1985, 282p.

Japan. The Cookbook

Nancy Singleton Hachisu, Japan. The Cookbook (2018): édité chez Phaidon, cet épais livre est une bible de la cuisine japonaise. L’autrice est américaine mais vit au Japon, dans une ferme. Elle a rassemblé pour cet ouvrage une multitude de recettes traditionnelles (mais aussi parfois des plats plus fusion qui ont intégré les moeurs locales dans les années 1970 ou 80). Il y a une courte introduction, puis des chapitres qui classent les plats selon le moment où on les mange ou selon leur préparation, par exemple « cru », « au vinaigre », « frit », « grillé », « pickles »… Chaque recette est introduite par quelques mots d’explication, et un tiers environ est accompagnée d’une photo. J’ai un peu de mal à appréhender ce livre, il a un côté trop encyclopédique et, pour un repas complet, il faut préparer plusieurs plats (ce qui est le propre de la cuisine japonaise mais pas toujours facile à réaliser quand on cuisine pour une personne). Il est malgré tout une excellente base et j’y reviens de temps en temps quand j’ai un ingrédient particulier à préparer.

  • photos: *** (les photos sont belles, mais un tiers environ des plats est illustré – ce que je trouve peu)
  • texte: *** (il y a une introduction générale, chaque plat est présenté et il y a un glossaire, mais il y a un goût de trop peu)
  • originalité des recettes: *****
  • authenticité des recettes: *****
  • faisabilité des recettes: *** (c’est une cuisine assez simple mais il faut trouver certains ingrédients très locaux)
  • mesures: unités de mesures métriques et impériales
  • recettes favorites: je n’ai pas testé grand-chose, juste le « Yuzu dressed spinach » – j’ai mis quelques signets mais c’est compliqué vu l’ampleur du livre
  • indispensabilité du livre: *** (une bonne base pour compléter d’autres livres)

Nancy Singleton Hachisu, Japan. The Cookbook, Phaidon, 2018, 463p.

The Java Enigma

Erni Salleh, The Java Enigma: Irin Omar travaille comme bibliothécaire dans la mission archéologique de Borobudur, à Java. Son père décède et elle ne peut se rendre à ses funérailles en Malaisie, mais elle découvre peu après qu’il lui a laissé le contenu d’un coffre à la banque. Il n’y a pas d’objet précieux dedans mais un cadenas. Elle part à la recherche de la signification de tout ceci et découvre le passé de son père qui était un plongeur spécialisé dans la recherche d’épaves. Ceci l’emmènera à dévoiler des pans entiers de l’histoire de la région.

Erni Salleh est une autrice singapourienne que j’ai découverte à Singapour. Elle a étudié l’histoire de la région et elle intègre tout ça dans son court roman, que je n’ai trouvé que moyennement réussi. L’idée de la quête n’était pas mauvaise, mais elle devient trop compliquée à partir de la moitié du livre – il y a un grand retournement de situation – et je ne suis pas sûre d’avoir bien compris ce qui se passait (il y a une société secrète qui sort de nulle part, et beaucoup d’ésotérisme, le bon devient mauvais puis de nouveau bon). L’histoire d’Irin s’entrelace avec celle, beaucoup plus large, de la région, plongeant dans les relations commerciales du passé et l’histoire du bouddhisme. Heureusement, ce n’était pas trop long, mais ce roman, ni sa fin, ne m’ont convaincues.

Erni Salleh, The Java Enigma, Epigram Books, 2020, 176p. (pas de traduction)

The Book of Tokyo

The Book of Tokyo. A City in Short Fiction: ce recueil rassemble dix nouvelles, six écrites par des femmes, quatre par des hommes. Les auteurs sont japonais, ils sont nés dans la seconde moitié du 20e siècle, certains sont mêmes relativement jeunes. On retrouve des noms connus comme Banana Yoshimoto ou Hiromi Kawakami, d’autres le sont moins. Les histoires sont assez diverses et touchent en général à la vie quotidienne, la première est de l’ordre du fantastique avec un métamorphe qui arrive dans la ville (c’est la seule nouvelle où il y a clairement un style très précis, où les phrases se rallongent de plus en plus). On y rencontre aussi un collectionneur de livres un peu naïf qui fait la connaissance d’une touriste, une femme qui partage par hasard un taxi avec un homme, un salaryman qui va manger avec une jeune collègue…

Toutes ces histoires se passent à Tokyo, mais la ville n’est que rarement au coeur du récit. Certaines nouvelles citent juste un endroit, d’autres élaborent un peu plus mais il n’y a pas vraiment de descriptions, il n’y a pas vraiment d’immersion dans le milieu urbain, et c’est dommage. Même si les nouvelles sont intéressantes et diverses, il y a un peu un mensonge sur le titre. Dans la même série, j’avais lu celui sur Jakarta, et j’ai senti un bien plus grande présence de la ville. Cela reste malgré tout une bonne manière de découvrir des auteurs, et dans ce cas-ci, cela m’invite à continuer à lire les romans de Mitsuyo Kakuta alors que j’avais été un peu déçue du premier que j’ai lu. Et j’ai aussi envie de relire ces Banana Yoshimoto que je possède depuis une trentaine d’années.

The Book of Tokyo. A City in Short Fiction, Comma Press, 2014, 180p. (traduit du japonais vers l’anglais par divers traducteurs).

Un livre lu dans le cadre d’Un mois au Japon, une activité organisée par Lou et Hilde.

Europe: A History

Norman Davies, Europe: A History: l’historien britannique Norman Davies s’est donné pour tâche d’écrire l’histoire de l’Europe entière, de la préhistoire à la chute du mur de Berlin. Il met en avant des régions moins connues, souvent oubliées, et entrecoupe son récit par des encarts aux thèmes très divers mais qui expliquent l’un ou l’autre élément plus large. Si j’ai commencé ce pavé, c’est parce que je me rendais compte qu’il me manquait plein d’éléments; ce que j’ai appris est un genre de gruyère, centré sur la Belgique (quand on étudie l’histoire à l’université, on rentre très souvent dans le très particulier, comme les institutions locales belges durant les Temps Modernes). Mais la guerre de Trente Ans ? Le premier chapitre sur la préhistoire m’a semblé un peu dépassé – le livre a été écrit au début des années 1990 et les analyse d’ADN ont bouleversé bien des idées reçues. Pour l’Antiquité, je connaissais déjà pas mal, de même que pour le Moyen-Age. C’est surtout sur la période 1400-1900 que j’ai appris beaucoup de choses, tout particulièrement parce l’auteur parle du parcours des Juifs sur le continent et inclut l’Europe de l’Est. J’ai donc découvert l’histoire de la Pologne, de la Lituanie, de la Russie. A nouveau, j’ai un peu décroché pour l’histoire du 20e siècle que je connais déjà bien. De plus l’auteur se lamente souvent sur les archives qui ne sont pas encore accessibles pour mieux comprendre certaines choses, notamment le déroulement de la Seconde Guerre mondiale (apparemment les archives soviétiques sont toujours fermées aujourd’hui).

C’est un livre touffu (j’ai mis cinq mois à le lire), mais qui reste digeste; par contre, on sent qu’il a déjà une trentaine d’années, et je préfère des livres plus récents. Mais il a comblé quelques trous du gruyère et m’a ouvert les yeux sur l’est de l’Europe.

Norman Davies, Europe: A History, Pimlico, 1996, 1365p. (pas de traduction française)

L’ode au chou sauté

Areno Inoue, L’ode au chou sauté: quelque part dans Tokyo, Kôkô, Matsuko et Ikuko, trois femmes d’environ 60 ans, tiennent une cantine de quartier, préparant chaque jour des plats frais et de saison, s’inspirant de ce qui est disponible au marché. Elles ont chacune leur caractère et un passé qui se rappelle à elles. Elle sont toujours à la recherche de l’amour, et sont assez émoustillées par le nouveau jeune livreur de riz. Mais leur âge les rend plutôt invisibles.

Ce roman japonais est vraiment plaisant. Il associe la cuisine – j’ai de nombreuses fois salivé devant la description des plats – et des femmes. Des femmes d’un âge où elles sont encore rarement les héroïnes d’un roman. Des femmes très attachantes, avec leurs habitudes parfois un peu décalées, avec leurs histoires, leurs tristesses mais aussi des femmes énergiques qui trouvent la joie dans les petites choses de la vie. C’est un roman tellement positif et doux. J’ai beaucoup aimé !

Areno Inoue, L’ode au chou sauté, Editions Picquier, 2021, 240p. (traduction par Patrick Honnoré, première édition en japonais en 2011)

Un livre lu dans le cadre d’Un mois au Japon, une activité organisée par Lou et Hilde.

Okuribi

Hiroki Takahashi, Okuribi: Ayumu, jeune adolescent, déménage une fois de plus. Son père a été muté dans une région du nord du Japon, dans un village rural. Le jeune homme intègre l’école locale, en voie de fermeture par manque d’élèves. Il est accueilli par les autres garçons de son âge et commence alors une amitié qui lui semble au premier abord tout à fait bienvenue. Mais au fil des jours, il sent son malaise grandir face à certains jeux qui visent l’un d’entre eux, Minoru.

Ce roman, c’est plutôt une longue nouvelle qui nous emmène au coeur du Japon rural, vu sous l’angle d’adolescents un peu désoeuvrés et mal dans leur peau. Ayumu est un observateur mais très vite il se retrouve mêlé à quelque chose qui le dépasse. La tension est latente dès les premières pages; le lecteur sait que toute cette histoire va mal tourner. Si j’ai aimé ce roman, c’est sans doute à cause de sa brièveté. Parfois il ne faut pas en rajouter des tonnes, surtout quand l’histoire touche à l’horreur. J’ai aussi apprécié les descriptions de la vie rurale et des événements du calendrier, notamment cet « Okuribi » de fin d’été, lié à Obon, la fête des morts.

Hiroki Takahashi, Okuribi, Belfond, 2020, 122p. (traduction par Miyako Slocombe)

Un livre lu dans le cadre d’Un mois au Japon, une activité organisée par Lou et Hilde.

The Adventures of Owen Hatherley in the Post-Soviet Space

Owen Hatherley, The Adventures of Owen Hatherley in the Post-Soviet Space: après avoir dévoré Trans-Europe Express, je savais que je voulais lire les autres livres d’Owen Hatherley. Celui-ci est construit sur le même principe: Hatherley décrit l’architecture de villes situées en Russie ou dans des pays qui appartenaient auparavant à l’URSS, des pays baltes au Kirghizistan. Il est passionné par l’évolution de l’urbanisme et repère des bâtiments auxquels on ne ferait pas spécialement attention, des immeubles aux architectures spécifiques. Il s’intéresse aux constructions réalisées sous la période communiste, du constructivisme au modernisme, en passant par la grandiloquence stalinienne et explique comment ces bâtiments s’intègrent toujours ou justement plus dans le paysage urbain. Certaines villes les masquent, les transforment, d’autres ne font rien ou les laissent tomber en ruines. J’ai une fois de plus trouvé ce livre passionnant, à part un ou deux chapitres un peu longs, clairement écrits sur commande, et j’ai dévoré les plus de 600 pages en quelques semaines. Il m’a donné encore plus envie de découvrir ce monde des pays de l’Est (que j’avais un peu visité pendant mon enfance et adolescence), mais même en restant en Belgique, j’ai un regard bien plus affuté qu’avant quant à l’architecture qui m’entoure. Je compte bien continuer ma lecture de cet auteur.

Owen Hatherley, The Adventures of Owen Hatherley in the Post-Soviet Space, Repeater, 2018, 679 p. (non traduit)

660 Curries

Raghavan Iyer, 660 Curries (2008): la bible du curry indien (apparemment épuisée en version papier) ! Raghavan Iyer a en effet rassemblé 660 recettes de currys (et de biryanis, pains, pickles et raitas) venant de toutes les régions de l’Inde. Vu le nombre de recettes, il n’y a pas de photos (à part quelques photos un peu génériques au début du livre) mais elles sont toutes introduites et de nombreux encarts donnent des explications sur des points particuliers. Il y a une courte introduction générale, ainsi qu’à chacun des chapitres: mélanges d’épices, entrées, volaille et oeufs, boeuf, agneau et porc, poisson et crustacés, paneer, légumineuses, légumes, currys contemporains (fusion), biryanis, accompagnements. Ce livre est très pratique quand on a un ingrédient particulier à utiliser ou quand on veut comparer des recettes avec d’autres livres, mais les mesures sont uniquement impériales (il y a un tableau de conversion à la fin). Je n’ai quasi rien préparé de ce livre mais je devrais m’y plonger de temps en temps; il me donne même envie de faire un genre de challenge « une région, un plat » pour mieux connaître les spécificités régionales de la cuisine indienne (mais l’index ne m’aidera pas à ce niveau – les régions ne sont pas mentionnées).

  • photos: – (l’intro ne compte pas vraiment)
  • texte: **** (chaque plat est présenté, ce qui est pas mal pour un livre de cette ampleur)
  • originalité des recettes: *****
  • authenticité des recettes: ****
  • faisabilité des recettes: **** (c’est sans doute assez variable mais le public cible est tout le monde)
  • mesures: unités de mesures impériales
  • recettes favorites: aucune pour le moment
  • indispensabilité du livre: ****

Raghavan Iyer, 660 Curries, Workman Publishing, 2007, 809p.

Dictionnaire enchanté de la musique au cinéma (vol. 1, A-F)

Thierry Jousse, Dictionnaire enchanté de la musique au cinéma (vol. 1, A-F): lire un dictionnaire, ça peut sembler un peu ardu, mais ce n’est pas le cas ici. Thierry Jousse raconte des histoires et explique pourquoi il a été passionné par tel compositeur, tel réalisateur, telle musique de film, tel chanteur. Il parle de d’Antonioni, de Bowie, de Cosma, de Desplat mais aussi de films comme Bullitt. C’est intéressant, mais c’est très personnel, parfois trop. Et je regrette très fort qu’il n’y ait aucun article sur Nick Cave ou Warren Ellis (que l’auteur aime beaucoup, m’a dit le collègue qui m’a conseillé ce livre). Autre souci pour moi: tous les titres de films sont en français alors que je connais les versions anglaises. Est-ce que je lirai la suite ? possible mais pas sûr (ou alors pour soutenir la maison d’édition qui n’est pas très connue et qui fait du bon travail).

Thierry Jousse, Dictionnaire enchanté de la musique au cinéma (vol. 1, A-F), Marest Editeur, 2022, 246p.