The House of Doors

Tan Twan Eng, The House of Doors: 1921 – Lesley Hamlyn vit avec son mari Robert, un vétéran de la guerre et avocat, à Penang (faisant partie à l’époque des Straits Settlements, ou Etablissements de détroits, administrés par les Britanniques). Ils occupent une maison en bord de mer nommée Cassowary House qui rappelle l’oiseau, le casoar (dont le nom vient du malais) mais aussi l’arbre, le casuarina, dont un exemplaire apporte de l’ombre au jardin. Un ami de longue date de Robert, Somerset Maugham (Willie), vient s’y installer pour un moment, avec son « secrétaire » Gerald. Les soirées sont l’occasion de discussions autour d’un verre et Lesley dévoile des secrets, tout en se rendant compte qu’ils serviront sans doute d’inspiration à l’auteur pour ses prochains écrits. On retourne alors au début des années 1910: Sun Yat Sen est en mission à Penang pour récolter de l’argent pour sa cause et Lesley le rencontre, ainsi que son groupe d’amis. A la même époque, la colonie est secouée par le procès d’une Anglaise accusée de meurtre; elle est une amie de Lesley et celle-ci fait tout ce qu’elle peut pour la soutenir.

L’auteur malais (qui écrit en anglais) Tan Twan Eng s’est inspiré d’événements réels: le séjour de Somerset Maugham à Penang (qui a inspiré son recueil de nouvelles The Casuarina Tree (Le sortilège malais)), celui de Sun Yat Sen en 1910 et le cas d’Ethel Proudlock qui a tué un homme en 1911 (je me suis rendue compte que c’est aussi le sujet du quatrième roman de la série autour d’Harriet Gordon d’A.M. Stuart, dont j’ai lu les deux premiers ainsi que du film The Letter avec Bette Davies que j’ai vu récemment, d’ailleurs adapté d’un roman de Maugham). L’auteur a joué avec les dates pour faire coïncider ces deux derniers événements en 1911.

Quand j’avais lu que ce livre parlait Maugham, j’avais été moins tentée par sa lecture et je l’avais repoussée. Je n’aurais pas dû. J’ai retrouvé avec un immense plaisir l’écriture de Tan Twan Eng, ses histoires très bien construites qui tiennent en haleine le lecteur, ses descriptions de la nature luxuriante de Penang et de la Malaisie, sa connaissance de la société coloniale mais aussi l’inclusion de beaucoup de notions typiquement malaises, des mots locaux, la cuisine, les ambiances… J’ai très vite accroché à cette histoire qui se déroule à plusieurs niveaux, la vie d’un auteur célèbre aujourd’hui alors qu’il est dans une passe difficile, son homosexualité dont il ne faut pas parler, ainsi que la vie de la communauté chinoise de Penang et pour pimenter le tout, une histoire de meurtre et de procès. C’est un roman qui parle de sujets contemporains comme la sexualité, le genre, les relations de couple, le racisme, le colonialisme mais en les remettant dans un contexte plus ancien. J’ai adoré !

Ce roman n’est pas encore traduit en français, mais je vous conseille chaudement la lecture de deux romans plus anciens, Le don de la pluie (The Gift of Rain – 2007) et Le jardin des brumes du soir (The Garden of Evening Mists – 2011). Ces trois livres s’insèrent dans l’activité sur les littératures d’Asie du Sud-Est.

Tan Twan Eng, The House of Doors, Bloomsbury Publishing, 2023, 320p. (pas de traduction en français, mais ça pourrait bien être prévu)

Sans lendemain

Jake Hinkson, Sans lendemain: Billie Dixon est une femme moderne pour les années 1940. Elle s’est installée à Los Angeles pour écrire des scénarios mais ne trouve pas de travail. Elle accepte un job qui lui demande de parcourir les routes des Etats-Unis pour vendre des films de série B dans les trous les plus perdus. Elle arrive dans un bled paumé de l’Arkansas où le patron de la salle de cinéma lui dit qu’il a dû fermer à cause du prédicateur local fanatique. Elle décide d’aller lui parler pour tenter de le convaincre; elle rencontre par la même occasion son épouse, Amberly, et est irrésistiblement attirée par elle. C’est là que ses ennuis commencent.

Si au départ, j’ai beaucoup aimé le personnage de femme forte de Billie, j’ai très vite déchanté avec cette histoire qui m’a semblé tout à fait invraisemblable (une femme de pasteur qui tombe amoureuse d’une autre femme au premier coup d’oeil et qui la suit sans réfléchir – dans les années 1940 ?). Les péripéties s’accumulent, de même que les mensonges et je n’y ai pas cru un instant. Tout se passe très rapidement, trop même. L’idée n’était pas mauvaise, mais j’aurais aimé que les personnages soient moins superficiels, moins unidimensionnels. On se saura jamais ce qui a poussé Amberly dans ses actions, ni pourquoi Billie a agi comme ça. Ce livre se veut noir, mais il l’est à peine quand on le compare avec d’autres auteurs. C’est un roman court – c’est peut-être ça son problème ? – et je l’ai donc lu jusqu’à la fin, en quelques heures. Mais deux semaines plus tard, pour écrire ce billet, j’avais déjà en grande partie oublié l’intrigue (et je descends d’ailleurs ma note de 3 à 2). Dommage, parce que j’aurais vraiment aimé suivre les aventures d’une femme indépendante comme Billie dans les années 1940.

Kathel était plus enthousiaste que moi. Et quand je vois ses notes sur les autres romans de l’auteur, peut-être qu’il ne faut pas commencer par celui-ci.

Jake Hinkson, Sans lendemain, Gallmeister, 2019, 217p. (traduction par Sophie Aslanides, titre original: No Tomorrow, 2015)

Le bureau d’éclaircissement des destins

Gaëlle Nohant, Le bureau d’éclaircissement des destins: la Française Irène vit dans la Hesse en Allemagne; elle y avait épousé un homme du coin mais a divorcé peu après la naissance de son fils, aujourd’hui jeune adulte. Elle est restée là à cause de son travail qui la passionne: elle fait des recherches au sein de l’International Tracing Service, un centre de documentation sur les persécutions nazies et les camps de concentration. Une de ses missions est de retrouver les propriétaires (ou leurs descendants) d’objets retrouvés à la fermeture des camps, un Pierrot en tissu, un mouchoir brodé, un médaillon… Elle est méticuleuse et tenace, et entourée de personnes pleines de ressources. Ses enquêtes dévoilent le passé, maillon par maillon, et racontent l’histoire de personnes, un homme juif qui a participé à la révolte de Treblinka et qui a réussi à s’enfuir, continuant sa vie sur plusieurs continents, une femme polonaise arrêtée et emmenée dans un camp de travail, qui prend sous son aile un petit garçon, une autre femme, allemande, qui dévoile enfin ses secrets (avoir vu The Zone of Interest juste avant donne une certaine chair à cette femme, même si elles sont fort différentes au final)…

Le roman raconte des destins particuliers de femmes et d’hommes (destins inventés par l’autrice mais basés sur des faits réels), des destins tragiques mais aussi des histoires qui font chaud au cœur. Il entremêle ce passé au présent d’une femme qui se pose des questions sur elle-même, sur sa relation avec son fils et sur la vie d’une de ses collègues particulièrement importante, une femme juive qui a survécu et qu’elle ne connaît finalement pas si bien que ça. Il ne s’agit donc pas uniquement d’un roman sur les camps de concentration mais bien d’un récit actuel qui pose des questions très contemporaines, et c’est cela le point fort de ce livre. Gaëlle Nohant a un art tout particulier pour plonger le lecteur dans des histoires très prenantes, aux émotions très fortes mais savamment dosées. J’aime beaucoup cette autrice et j’avais déjà beaucoup apprécié La part des flammes, j’étais plus mitigée pour L’ancre des rêves, et j’ai de nouveau beaucoup aimé La femme révélée. Ce sont ces lectures, et les avis sur les blogs, qui m’ont poussée à lire ce nouveau roman, alors que j’évite en général le thème des camps de concentration et du génocide juif. J’ai bien fait de sortir de ma zone de confort.

Une lecture commune avec Livr’escapades, Keisha et Je lis je blogue qui ont des avis très contrastés.

Gaëlle Nohant, Le bureau d’éclaircissement des destins, Grasset, 2023, 416p.

Walk the Vanished Earth

Erin Swan, Walk the Vanished Earth: 1873, 1975, 2027, 2073 – le roman se déroule à toutes ces époques, suivant Samson, un chasseur de bisons, Bea, une jeune fille errante et enceinte, recueillie dans une institution où elle reste mutique, Paul et sa fille, qui vivent dans une Nouvelle-Orléans inondée, et dont les bâtiments sont reliés par des passerelles aériennes, et enfin Moon, une jeune femme vivant sur Mars avec ses deux oncles, deux hommes bizarres pas tout à fait humains. Les chapitres consacrés à l’un ou l’autre s’entrecroisent et des liens se créent, il y a le rêve récurrent d’un géant, les paysages sont marqués par la sécheresse mais aussi par des inondations jamais vues qui mènent au cataclysme.

J’ai été attirée par ce roman parce qu’il était dans la liste des 50 romans de SF de Numérama mais aussi parce qu’il était édité par Gallmeister, toujours gage de qualité à mes yeux. Et aussi à cause des références à Emily St. John Mandel que j’aime beaucoup. Mais c’est là que le bât blesse: ce n’est pas aussi abouti. C’est le premier roman d’Erin Swan et ça se sent un peu. J’ai l’impression qu’elle a voulu trop raconter mais au final, c’est très déconstruit et ça manque de liant. La partie se déroulant à La Nouvelle-Orléans aurait pu constituer un roman à part entière. Il crée en effet un monde assez particulier qui montre une manière de survivre au changement climatique. La partie sur Mars est également intéressante mais m’a semblé pas assez développée. Quant aux autres épisodes du passé, ils sont fort courts. Il y a une certaine poésie et beaucoup de nostalgie, mais dans mon cas, ça ne passe pas, ça m’a semblé être du sous St. John Mandel. J’ai clairement eu un goût de trop peu avec ce roman.

C’est malgré tout une première participation littéraire au challenge marsien organisé par ta d loi du cine sur le blog de dasola. J’espère que trouverai un roman plus passionnant dans le futur.

L’avis plus positif de Keisha.

Erin Swan, Walk the Vanished Earth, Penguin Books, 2023, 384p. (première édition: 2022, traduit en français: Parcourir la terre disparue)

Riverrun

Danton Remoto, Riverrun: Danilo Cruz grandit aux Philippines, il habite avec sa famille près d’une base militaire où travaille son père. Il raconte par petites vignettes la vie quotidienne, son enfance, son parcours à l’école, les déménagements successifs… et un sentiment qui l’habite, qu’il n’est pas comme les autres garçons. Dès l’enfance, il se sent attiré par eux, et toute la communauté l’a remarqué, ce qui engendre parfois des frictions qu’il ne comprend pas toujours. Au travers de ce parcours personnel transparait l’histoire des Philippines, la dictature de Ferdinand Marcos et le rôle de son épouse, mais aussi des événements mondiaux comme le premier pas sur la lune.

Danilo est quelque part l’alter ego de l’auteur, Danton Remoto (1963), qui est journaliste, essayiste, poète, traducteur et romancier, et défenseur de la communauté LGBTQIA+ aux Philippines. Il rédige ses livres et poèmes en anglais et philippin. Son écriture est belle, on sent qu’il est poète, mais cela reste un roman. Il décrit les détails de la vie aux Philippines, les logements, le système scolaire, la nature, les arbres… La chronologie des vignettes n’est pas entièrement respectée et cela engendre un agréable chaos qui ajoute une certaine saveur au roman. J’ai beaucoup accroché à ce récit de « coming of age » venant d’un pays que je ne connais pas du tout et j’ai découvert un auteur qui me plaît beaucoup.

J’ai découvert ce livre sur l’Asian Review of Books, et c’est donc un premier livre philippin (pour moi) pour l’activité sur les littératures d’Asie du Sud-Est.

Danton Remoto, Riverrun, Penguin, 2020, 216p. (première publication en 2015, non traduit)

Oiseaux de tempête

Einar Kárason, Oiseaux de tempête: février 1959 – au large de Terre-Neuve-et-Labrador, le chalutier islandais Mafur vient de terminer sa campagne de pêche. Les cales sont remplies à ras bord de sébaste et il est temps d’entamer le chemin du retour. C’est alors qu’éclate une tempête exceptionnellement forte. Les températures chutent brusquement, le vent souffle violemment, et l’eau projetée sur le bateau gèle immédiatement, ce qui alourdit encore plus le bateau déjà bien chargé. Des marins sont envoyés sur le pont pour casser la glace mais la tâche est rendue difficile par les rafales. Le chalutier se couche plusieurs fois quasi sur son côté; détacher et abandonner les deux grands canots de sauvetage apportent un peu de répit mais oblitèrent toute possibilité de survie en cas de naufrage. Aller vers le sud dans une région où les températures sont plus clémente n’est pas une option: le navire doit aller vers le nord pour prendre les vagues de face à cause de sa lourde cargaison. Les marins travaillent sans relâche, ne dormant quasiment plus.

En lisant ce livre, je suis totalement sortie de ma zone de confort: c’est mon premier auteur islandais et ce n’est pas un sujet de prédilection. J’ai été emmenée dans l’aventure grâce au Booktrip en mer de Fanja et l’activité sur le monde du travail d’Ingannmic – je me suis dit qu’un doublé serait pas mal. Je l’avais mis dans ma PAL suite au billet de Sacha et après avoir terminé ma lecture du roman de Gaëlle Nohant (une LC à venir), je me suis rendue compte que j’avais tout à fait le temps d’insérer ce court livre et de participer à la lecture commune du moment avec Fanja et Kathel.

Cela fait beaucoup de contexte, mais qu’en ai-je pensé ? Au début, j’ai été un peu déstabilisée par la forme du récit. C’est un texte suivi, sans dialogues (ou juste de petits bouts qui sont cités par moments), très descriptif, écrit à la manière d’un historien expliquant un événement du passé. Il met en avant le point de vue d’un jeune marin, mais c’est assez secondaire. L’auteur précise cependant qu’il s’agit d’une fiction même si les événements ont bien eu lieu. Et c’est là que j’ai été embarquée: il décrit la vie à bord, la tempête, le chalutier avec une telle minutie que le lecteur se sent sur place. Les détails sont impressionnants, la force de la tempête aussi. J’ai été tenue en haleine durant tout le récit, j’ai vécu avec les marins, j’ai eu très peur pour eux et j’ai apprécié que l’auteur prenne le temps de parler des courts moments de repos et des repas qui permettent de souffler un peu. Et je me suis sentie soulagée en tournant la dernière page. Cela a dû être une expérience vraiment effrayante.

Juste encore ceci: je me suis posé des questions sur l’histoire, j’ai beaucoup entendu parler des « Ijslandvaarders », les marins flamands qui allaient pêcher dans les eaux islandaises, et j’ai donc été étonnée de voir que les marins islandais allaient pêcher vers les côtes du Canada. J’ai aussi revu les images de l’émission Deadliest Catch sur les pêcheurs de crabes en Alaska.

Einar Kárason, Oiseaux de tempête, Grasset, 2021, 156p. (traduit de l’islandais par Eric Boury, titre original: Stormfuglar)

Une saison pour les ombres

R.J. Ellory, Une saison pour les ombres: Jack Deveraux, enquêteur pour une compagnie d’assurances à Montréal, reçoit un appel du Grand Nord: son frère Calvis a été arrêté pour tentative de meurtre. Jack retourne alors à contrecoeur à Jasperville, une ville construite autour d’un mine, au nord du Québec, dans un endroit très inhospitalier où il gèle à pierre fendre et où l’été ne dure que quelques semaines, avec des températures atteignant au maximum 10° (ce n’est clairement pas un endroit pour moi). Pendant le trajet, il repense aux événements du passé, et l’auteur les raconte en alternant les chapitres avec le présent. Jack est arrivé là enfant, avec ses parents, sa grande soeur et son petit frère. Au cours des années 1970, une jeune fille disparaît; on la retrouve morte, son corps lacéré. D’autres femmes suivent. Est-ce qu’il y aurait une bête sauvage à l’oeuvre dans la région, ou un wendigo, selon la mythologie indienne ? Ou est-ce qu’il s’agit d’un humain ? Les shérifs locaux, nommés pour deux ans, ne font jamais vraiment d’enquête. Ils sont seuls sur place, la civilisation est loin.

Au fil des pages, on découvre la vie quotidienne dans une ville minière du nord, le genre d’endroit où on ne vit que parce qu’il y a du travail et où tout le monde se connaît. On apprend aussi à connaître Jack, un homme qui a voulu tourner la page sur le passé mais qui ne rend pas compte qu’il a été traumatisé. Le roman est une lente prise de conscience de sa situation qu’il n’accepte pas vraiment. Il faudra du temps. Il se rend compte qu’il doit faire l’enquête pour tenter d’expliquer l’acte de son jeune frère. Le récit est lent et c’est très bien. Il se précipite un peu vers la fin, et quelque part, l’histoire devient moins intéressante mais offre quand même une conclusion, comme tout bon livre parlant de morts non élucidées. Ce n’est pas un polar classique, c’est plus un roman psychologique analysant le poids du passé. Un peu comme Seul le silence que j’ai lu en 2013 mais dont j’avais eu un avis un peu mitigé. Ici, ce n’est pas le cas: j’ai vraiment beaucoup aimé le côté sombre et glauque du récit et les descriptions du Grand Nord au froid omniprésent. Ce roman me réconcilie avec R.J. Ellory, ce qui n’est pas plus mal vu que j’ai encore un autre sur ma PAL, Le chant de l’assassin.

Une lecture commune avec Ingannmic et Je lis je blogue.

R.J. Ellory, Une saison pour les ombres, Sonatine, 2023, 408p. (traduction par Etienne Gomez, première édition en anglais en 2022 sous le titre The Darkest Season)

La transparence selon Irina

Benjamin Fogel, La transparence selon Irina: 2058 – tout le monde sait tout sur tout le monde, chacun est relié au réseau et il est devenu impossible de s’authentifier sur internet avec un pseudo. C’est dans la vie réelle que certaines personnes cachent alors leur identité. Camille, parisienne de 30 ans, est une de ces personnes. Elle se fait appeler Dyna Rogne et ses amis réels sont des personnages quelque peu troubles, un activiste s’opposant au monde nouveau et un flic qui les traque. Sur le réseau, elle s’est liée d’amitié avec Irina – enfin elle est plutôt sous la coupe de celle-ci sans qu’elle ne s’en rende vraiment compte.

Tous ces éléments mettent du temps à s’installer et j’ai très vite détesté Camille qui, pour moi, est la Parisienne typique et cliché, une personne (on pourrait dire iel, cultivant une certaine ambiguïté – il suffit de voir son pseudo qui est un anagramme) hautaine et désinvolte, qui a des relations sexuelles libres et sans amour, qui n’est ni aimable ni aimante. J’ai failli abandonner à la moitié, ne voyant pas trop d’intérêt à lire la suite. Mais j’ai continué, ayant la flemme de choisir un autre livre dans le métro. Il commence à y avoir un semblant d’histoire, le meurtre du flic, et finalement tout s’explique par quelques coups de baguette magique (ou presque). Je voulais vraiment aimer ce roman d’anticipation, je n’ai pas du tout accroché. Il faisait partie de la liste de Numérama avec les 50 romans de SF contemporaine à lire et j’ai quelques fois échangé avec l’auteur dans le passé, par blogs interposés (à cette époque lointaine où il y avait pas mal de blogs musique que je lisais). Je lui avais mis un 3, mais deux semaines plus tard, il ne me reste que le sentiment d’ennui et la description d’un monde glaçant et impersonnel (ce qui a ravi certains lecteurs et critiques, de même que des libraires qui lui ont donné un prix), et je descends ma note à 2. C’est rare que je mette une note aussi basse, mais d’habitude j’abandonne les livres que je n’aime pas et je ne les note pas.

L’avis de Sandrine.

Benjamin Fogel, La transparence selon Irina, Rivages, 2019, 280p. (édité en poche en 2021)

Death in the East

Abir Mukherjee, Death in the East: à la fin de Smoke and Ashes, le capitaine Sam Wyndham montait dans le train pour entreprendre une cure de désintoxication dans les régions montagneuses de l’Assam. Ce volume-ci reprend le fil. On suit le capitaine dans le train puis à l’ashram où il est accueilli. Il suit les règles qui lui sont imposées et souffre beaucoup du manque. Sur le quai de la gare, il a cru reconnaître un homme et le passé lui revient en mémoire. Une de ses premières enquêtes s’est déroulée à Londres en 1905. Une femme qu’il aimait, Bessie, a été assassinée dans le quartier de Whitechapel. Encore fort naïf à l’époque, il se laisse quelque peu dépasser par les événements. Les chapitres alternent présent et passé, jusqu’à ce qu’il aille mieux et qu’il poursuive sa convalescence dans le village tout proche, où il rencontre les Britanniques qui y vivent. Tout ne se passe pas comme prévu et il doit appeler le sergent Banerjee à l’aide.

L’histoire racontée est un peu compliquée, et il y a de nombreux rebondissements qui mettent un certain temps à arriver mais j’ai malgré tout deviné qui était coupable et comment il avait agi, alors qu’il restait encore un tiers du livre à lire. Est-ce que ça a gâché ma lecture ? Absolument pas ! Je trouve que les histoires de Wyndham et Banerjee montent en puissance et décrivent de mieux en mieux la société coloniale mais aussi les aspirations des Indiens eux-même (il y a quelques scènes assez drôles autour du prénom de Banerjee). On sent une évolution dans les romans, un point de rupture qui approche. Il y a un cinquième volume que je lirai sans doute très vite, mais j’ai vu avec surprise que le roman suivant d’Abir Mukherjee qui sort bientôt n’a plus rien à voir avec cette série. Serait-ce la fin des aventures de Wyndham et Banerjee ? J’espère que non.

Pour revenir à celui-ci, j’ai apprécié le déplacement de l’action hors de la ville grouillante de Calcutta, dans une petite station d’altitude où tout le monde se connaît, créant en quelque sorte un huis-clos très Agatha Christie-ien, mais aussi le retour vers le passé qui donne une autre image de Wyndham. Ces passages à Londres correspondent sans doute moins à ce que j’aime, je préfère clairement les histoires en Asie, mais il y a tout autant une description minutieuse de la classe ouvrière de l’époque, vivant dans des taudis. C’est une société extrêmement raciste et intolérante, envers les nouveaux arrivants juifs venant de l’Est, en miroir avec ce qui se passe aujourd’hui (et ce qui s’est passé en Inde lors de la période coloniale – la supériorité du Britannique de souche et blanc est bien présente). En racontant donc des histoires du passé, Abir Mukherjee parle donc aussi du présent. Je continue donc de conseiller cette série !

Abir Mukherjee, Death in the East, Harvill Secker, 2019, 384p. (pas encore traduit en français, mais ça ne devrait tarder)

L’âme de l’empereur

Brandon Sanderson, L’âme de l’empereur: Shai a été arrêtée pour tentative du vol, un vol de haut niveau, celui du Sceptre de Lune de l’Empereur. Elle attend son exécution mais les hauts dignitaires de l’état font un marché avec elle: elle doit réécrire la mémoire de l’Empereur qui a survécu à une tentative d’assassinat mais qui a perdu la mémoire. Elle est en effet une Forgeuse, un genre de faussaire qui possède la capacité d’altérer les objets, et probablement aussi les âmes à l’aide de sceaux qu’elle doit graver. Elle obtient cent jours pour réaliser quelque chose qui n’a jamais été fait avant. Elle se met à l’ouvrage mais pense en même temps à sa fuite, qui est compliquée par la présence de gardes mais surtout par un genre d’entrave magique.

Me voilà plongée dans un monde inventé, empli de magie, mais où les relations entre hommes sont tout à fait reconnaissables. Il y a des jeux de pouvoir, des alliances, un empereur qui ne peut pas mourir si l’administration veut rester à son poste et pour que l’empire ne passe pas aux mains des ennemis. C’est pourtant un monde inventé, avec un quotidien un peu différent, où les choses ne se passent pas tout à fait de la même manière. Le récit est prenant, plein de suspense. Shai va-t-elle réussir sa mission et s’en sortir ? Les pages se tournent l’une après l’autre jusqu’à la conclusion du récit. Et pourtant, je suis passée à côté, je n’ai pas accroché, peut-être ne suis-je pas le bon public pour la fantasy ? Je n’en ai lu que très peu (Le seigneur des anneaux) et je ne suis pas plus attirée que ça – je sais que le graphisme des couvertures y est pour quelque chose alors que ça ne devrait pas (il y a plusieurs couvertures différentes – celle de mon édition est relativement sobre). Dans le cas de ce roman, c’est l’avis dithyrambique de Fanja qui m’avait poussée à le mettre sur ma PAL, et c’est en le mettant sur ma liste des 24 livres à lire en 2024 qu’Ingannmic m’a proposé une lecture commune. Sans elle, je pense que je l’aurais abandonné. Au moins, j’ai maintenant des idées plus claires par rapport à la fantasty; peut-être que j’y retournerai un jour, comme je me suis à nouveau tournée vers la SF que j’apprécie beaucoup maintenant.

Brandon Sanderson, L’âme de l’empereur, Le Livre de Poche, 2014, 195p. (traduction par Mélanie Fazi, première édition en 2012: The Emperor’s Soul)