Un milliardaire cinq étoiles

Tash Aw, Un milliardaire cinq étoiles: Shanghai, 2013 ? (le livre a été écrit en 2013, et ça cadre assez bien). Cinq personnages obsédées par la richesse racontent leur histoire: Phoebe est une migrante et travaille dans une usine mais elle rêve de rencontrer un homme riche avec le but avoué de profiter de lui; Gary, aux origines modestes, est devenu une pop star, l’idole des jeunes filles, mais il ne contrôle plus sa vie; Justin a été envoyé à Shanghai par sa famille sino-malaise pour agrandir le capital immobilier; Yinghui s’est enrichie assez rapidement grâce à une ligne de sous-vêtements et s’est enfermée dans une dure carapace de femme d’affaires; Walter Chao est le milliardaire du titre, racontant comment il en est arrivé là. Ces cinq personnages n’ont en apparence aucun lien entre eux mais au fil des pages, des connections se créent, soit dans le présent, soit par le passé qui se dévoile peu à peu.

C’est un roman foisonnant, parfois un peu long, mais passionnant quand on s’intéresse aux diasporas chinoises. Tous les personnages ont en effet des racines en Malaisie, comme l’auteur, et tentent leur chance dans la mégalopole du moment, Shanghai. La ville est décrite sous tous ses angles, des beaux quartiers aux immeubles un peu délabrés, par sa folie immobilière également, détruisant les traces du passé sans aucun regret. Mais le thème principal, c’est l’argent, le capitalisme débridé, et tous les moyens pour l’obtenir même si ce n’est pas très honnête. Les personnages sont assez détestables, même si on s’attache quand même à certains d’entre eux au fil des pages. La situation de Gary est touchante, la vie de Yinghui est assez passionnante. J’ai juste vu venir le twist final de très loin, mais c’était peut-être le but de l’auteur. J’avais déjà lu un roman de Tash Aw (né à Taïwan, de parents malais), je pense que je vais continuer à explorer sa bibliographie.

Tash Aw, Un milliardaire cinq étoiles, Robert Laffont, 2015, 448p. (traduction par Johan-Frédérik Hel-Guedj, titre original: Five Star Billionaire, 2013)

Bukit Brown

Sun Jung, Bukit Brown: Hong-jo reçoit un mail de son amie Ji-won, qu’elle n’a plus vue depuis quelques années. Elle lui demande de venir tout de suite à Singapour, mais quand Hong-jo y arrive, son amie s’est suicidée. Elle rencontre Julian, un ami de Ji-won et ensemble ils commencent l’enquête: Ji-won était passionnée par l’histoire de Singapour et la Malaisie. Elle était tout particulièrement attirée par une ancienne tombe chinoise du cimetière de Bukit Brown. Celle-ci était un portail qui permettait de voyager dans le temps et Ji-won raconte comment elle s’est retrouvée à Penang en 1862.

Ce livre, je ne l’aurais sans doute jamais lu, mais un très gentil vendeur chez Epigram Books à Singapour me l’a chaudement conseillé, de même que plein d’autres romans locaux. Je l’ai donc ramené de vacances et je l’ai de suite entamé, parallèlement à un livre d’histoire sur les diasporas chinoises. Et j’ai bien fait: les deux se complètent et j’ai appris énormément sur l’histoire du 19e siècle dans la région. Je suis un peu partagée: j’ai trouvé la première moitié, et le premier voyage dans le temps, un peu long. J’ai eu l’impression que tout cela été fort invraisemblable et je me demandais quels étaient les liens avec le présent. Et puis, tout se débloque et je n’ai plus pu quitter ce roman dont j’ai dévoré la seconde moitié d’une traite. Tous les éléments se mettent en place et c’est extrêmement touchant, racontant les vies de personnes du passé et comment elles se mêlent au présent. L’autrice est coréenne et elle mélange habilement une part de Corée avec le sud-est asiatique, et cela aussi est intéressant.

Sun Jung, Bukit Brown, Penguin Singapore, 2019, 414p. (non traduit et malheureusement quasi introuvable en Europe)

Celle de l’autre rive

Mitsuyo Kakuta, Celle de l’autre rive: Sayoko est la maman d’une petite fille de trois ans dont elle s’occupe à plein temps. Elle est fatiguée de sa vie de femme au foyer et d’une timidité maladive; elle n’arrive pas à avoir des contacts avec les autres mamans qu’elle rencontre aux aires de jeux. Elle décide de chercher du travail et rencontre Aoi qui l’engage dans son entreprise de voyage et de nettoyage. Les deux femmes se rapprochent et Sayoko se sent enfin appréciée. Parallèlement, l’autrice raconte le passé d’Aoi. Adolescente, celle-ci était persécutée par ses camarades de classe et ses parents ont déménagé pour qu’elle puisse continuer à étudier dans une nouvelle école. Elle y rencontre Nanako qui l’accepte de suite comme sa meilleure amie, mais leurs aventures vont prendre un tournant assez sombre.

Mitusyo Kakuta met en scène la condition féminine au Japon, décrivant les femmes au foyer enfermées dans le quotidien répétitif, au service de leur mari (et critiquées par leur belle-mère). Elle parle aussi des groupes qui se forment, des cliques d’adolescentes qui critiquent les autres filles au moindre prétexte, les excluant et les bannissant psychologiquement des classes. En parallèle, elle montre comment ces schémas se reproduisent lors de la vie d’adulte. Tous ces sujets sont très intéressants mais le roman n’est pas agréable à lire. L’écriture est froide, maladroite par moments, et je n’ai pris aucun plaisir à ma lecture. De plus, je n’ai rien compris au fait que l’agence de voyages d’Aoi devient aussi une entreprise de ménage. Dommage pour la forme, parce que le fond avait un certain potentiel.

Mitsuyo Kakuta, Celle de l’autre rive, Actes Sud, 2008, 286p. (traduction par Isabelle Sakai, première édition de 2004)

Nouveau départ & La fin d’une ère

Elizabeth Jane Howard, Nouveau départ: la guerre est enfin terminée et la famille Cazalet quitte Home Place. Les aînés des enfants sont maintenant adultes et volent de leurs propres ailes, découvrant les difficultés de la vie. Polly et Clary vivent ensemble à Londres; la première est assistante dans une entreprise de décoration d’intérieur et la seconde est la secrétaire d’un agent littéraire assez exigeant et exécrable. Archie est toujours le confident de toute la famille. Elizabeth Jane Howard emmène le lecteur dans les méandres de cette chronique familiale, racontant la vie de l’après-guerre et les difficultés du rationnement qui continue, décrivant les sentiments des différents membres de la famille – des sentiments reconnaissables par tous: amour, jalousie, incompréhension, non-dits…

J’aime ces romans, et comme ils sont faciles à lire, ils sont idéaux en voyage. J’ai donc enchaîné de suite avec La fin d’une ère, qui se passe dix ans plus tard, à la fin des années 1950. Howard était déjà âgée au moment de l’écriture et propose ici une succession de chapitres très courts mais qui décrivent malgré tout très bien l’évolution des différents personnages de la famille. Le thème sous-jacent du roman est celui de la mauvaise gestion de l’entreprise de bois des Cazalet et des conséquences que cela pourrait avoir sur la famille. J’ai retrouvé avec plaisir les personnages qui ont tous mûri, même si les histoires des plus jeunes (Simon, Neville, Teddy) ne m’ont pas vraiment passionnée. Howard a toujours cette attention pour le détail, notamment au niveau de la nourriture et des différents repas que prennent les protagonistes. Elle décrit aussi l’évolution d’une société qui délaisse les anciennes valeurs pour en créer de nouvelles. En tous cas, j’ai passé un très bon moment pendant la lecture des cinq volumes de cette chronique familiale !

Elizabeth Jane Howard, Nouveau départ & La fin d’une ère, La Table Ronde, 2021 & 2022, 600 & 560p. (traduction par Cécile Arnaud, premières éditions en 1995 et 2013)

Le verger de marbre

Alex Taylor, Le verger de marbre: au milieu de la nuit, Beam Sheetmire doit faire traverser la rivière Gasping (au Kentucky) à un client en manoeuvrant le bac familial. Mais ce client le cherche et Beam finit par l’assommer, le tuant par la même occasion. Appelant son père à la rescousse, ce dernier lui dit de fuir; il a en effet reconnu la victime, qui est le fils de Loat Duncan, homme d’affaires et malfrat local. Au fil des pages, on suit le jeune homme un peu perdu qui tente de survivre mais aussi les autres personnages, Loat, avide de vengeance, le père et la mère de Beam qui ont des secrets à révéler, ainsi que d’autres personnages locaux pas très reluisants.

C’est une histoire sombre et sans espoir, qui se déroule dans une zone rurale et arriérée. J’ai eu beaucoup de mal avec tous ces hommes qui ne pensent qu’avec leurs couilles, et avec les personnages féminins qui n’existent que pour se faire manipuler et violer. Alex Taylor écrit bien, et j’avais beaucoup aimé Le sang ne suffit pas, mais je n’ai pas vraiment accroché à ce livre (que j’ai lu en voyage – cela a peut-être joué en partie). Je me rends compte de plus en plus que pour j’aime un livre, il faut qu’il y ait des personnages de femmes fortes et intéressantes, pas juste des objets de décoration dont on peut faire ce qu’on veut. Et pour cela, les autrices sont souvent plus sensibles que les auteurs. Mais au moins ce livre m’a permis de vider ma PAL de romans de 2020 – c’était le dernier à lire (je l’avais gardé en me disant qu’il y avait peu de chances que je sois déçue…).

Alex Taylor, Le verger de marbre, Gallmeister, 2016, 288p. (traduction par Anatole Pons, première édition en 2015: The Marble Orchard)

Inheritors

Asako Serizawa, Inheritors: construit sous forme de nouvelles, Inheritors est malgré tout un roman à part entière. Un arbre généalogique au début du livre permet de situer les personnages, tous descendants d’un couple japonais qui a vécu à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle. Ces nouvelles balaient l’histoire, de l’immigration japonaise aux Etats-Unis à la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à un futur proche. Les récits autour de la guerre sont tout particulièrement passionnants, mettant en avant le point de vue des perdants, tout en nuances. En fait toute la première moitié du livre est intéressante, avec une grande variation de styles et de points de vue, mais au deux-tiers, le ton change, et les dernières nouvelles sont plus des exercices de style qu’un récit de la vie des personnages. L’auteur l’explique d’ailleurs dans la postface, citant ses sources. Elle fait par exemple toute une analyse d’un roman de Borgès, lu et expliqué par les deux protagonistes (je ne lis pas un roman pour lire une étude sur un autre roman – que je n’ai pas lu en plus). Et quand elle rentre dans le monde futur, elle décide d’en parler sous forme d’un métavers. J’ai adoré le début, j’ai détesté la fin. Dommage qu’il y ait une telle disparité dans ces textes.

Asako Serizawa, Inheritors, Doubleday Books, 2020, 288p. (pas de traduction française)

The Mountains Sing

Nguyễn Phan Quế Mai, The Mountains Sing: Hương, jeune adolescente au début des années 1970 vit avec sa grand-mère qui prend soin d’elle alors que ses parents sont partis à la guerre, de même que ses oncles et tantes. Elle doit fuir les bombardements d’Hanoi, et la vie n’est pas facile. Sa grand-mère lui raconte sa propre histoire et les chapitres alternent le temps présent et le passé. Issue d’une famille de propriétaires terriens, elle a vécu une enfance assez aisée, elle trouve le mari idéal et vit heureuse jusqu’à ce que soit lancée la réforme agraire dans les années 1950. Elle doit fuir, avec ses enfants encore petits, et se voit confrontée au plus grand dénuement.

Par l’intermédiaire de ces personnages, l’autrice raconte l’histoire de son pays, le Vietnam au cours de la seconde moitié du 20e siècle. Elle met en avant des événements peu connus: le gouvernement communiste a en effet rayé des livres cette réforme agraire qui a mal tourné à cause de la violence qui a mis le pays à feu et à sang. Il y a également de nombreux passages sur la guerre du Vietnam, racontés du point de vue du nord, des communistes, ce qui change du point de vue américain, le seul qu’on connaisse en occident. L’écriture est fluide, entrecoupée de proverbes vietnamiens, poétique aussi par moments, mais toujours très rythmée. Un chapitre appelle le suivant et le lecteur ne peut s’empêcher de tourner la page pour connaître toute l’histoire. J’ai beaucoup aimé !

Une note cependant: je l’ai lu en format électronique, et ma liseuse Kobo n’arrive pas afficher les accents vietnamiens, ce qui fait que certaines lettres disparaissent tout simplement – j’ai finalement continué ma lecture sur l’iPad qui n’a aucun souci à ce niveau-là.

Nguyễn Phan Quế Mai, The Mountains Sing, Algonquin Books, 2020, 368p. (en français: Pour que chantent les montagnes)

The Aosawa Murders

Riku Onda, The Aosawa Murders: dans les années 1960, 17 personnes sont tuées par empoisonnement au cyanure lors d’une fête de famille. Seule Hisako, à ce moment là adolescente et aveugle, échappe au poison et survit. Aurait-elle pu commanditer ces meurtres ? Le roman est construit sous forme d’une recherche trente ans après les faits, et l’auteur (un auteur fictif, pas l’autrice du livre) transcrit les interviews de diverses personnes qui ont été proches ou plus lointaines de la famille et se penche tout particulièrement sur une amie d’Hisako qui était là le jour du meurtre et qui dix ans plus tard a elle-même effectué des recherches qu’elle a édité dans un livre devenu un best-seller à l’époque. Riku Onda construit son roman en dévoilant de nouveaux éléments à petites doses, choisissant particulièrement bien qui elle met en scène et à quel moment pour garder le suspense jusqu’au bout.

J’ai trouvé sa manière de faire assez intéressante, et les différents formats des témoignages des personnages très divers apportent une certaine variété, y compris dans l’écriture (qui n’est pas aussi « plate » que dans d’autres romans japonais). Elle décrit une petite ville au bord de la mer du Japon, juste désignée par la lettre K – comme elle parle du jardin très connu, et étant l’un des plus beau du Japon, ainsi que du château, je me suis imaginée qu’il s’agissait de Kanazawa et j’ai pu me mettre des images assez précises en tête. Mais au final, j’ai trouvé le récit un peu long, et la conclusion un peu confuse – ce qui était sans doute voulu. J’ai pourtant ralenti ma lecture pour être sûre de bien tout comprendre, mais j’ai dû rater quelque chose – ou pas.

Riku Onda, The Aosawa Murders, Bitter Lemon Press, 2020, 315p. (traduction par Alison Watts, première édition en japonais en 2005)

Les miracles du bazar Namiya

Keigo Higashino, Les miracles du bazar Namiya: après avoir commis un délit, trois jeunes délinquants se réfugient dans une maison abandonnée, l’ancien bazar Namiya. Au cours de la nuit, des choses étranges se passent: le temps a l’air de passer plus lentement à l’intérieur du bâtiment, et les jeunes hommes reçoivent une lettre du passé, demandant des conseils. Ils vont se prendre au jeu et répondre, déposant la lettre dans la boîte à lait à l’arrière de la boutique, comme le faisait l’ancien propriétaire. Ils se retrouvent entraînés dans une histoire qui les relie au passé et à des personnes très diverses.

Ce livre, beaucoup de gens l’ont adoré, la cote de 4,45 sur goodreads ne ment pas. J’en attendais donc beaucoup mais au fil des pages, j’ai été déçue. Je ne suis jamais rentrée dans la magie de l’histoire et je n’ai pas accroché aux personnages très divers. L’auteur laisse le doute planer pendant longtemps et donne l’impression d’écrire des nouvelles; des liens se créent cependant au fur et à mesure qu’on avance dans la lecture. L’écriture est simple, très plate, comme souvent dans des traductions du japonais, mais je m’y attendais. Ce n’est donc pas ça qui m’a dérangée. C’est plutôt un rendez-vous manqué, je crois, peut-être lié au fait que je venais de lire un excellent roman à l’écriture assez exceptionnelle.

Keigo Higashino, Les miracles du bazar Namiya, Actes Sud, 2021, 384p. (traduction du japonais par Sophie Refle, première édition de 2012)

Girl, Woman, Other

Bernardine Evaristo, Girl, Woman, Other: douze portraits de femmes, pour la plupart, britanniques, noires, mais pas toutes, de générations différentes, des jeunes, des femmes de la cinquantaine, des femmes âgées. Douze parties qui se relient parfois entre elles, tout particulièrement dans la conclusion. Une plongée dans les 20e et 21e siècles, dans l’histoire de l’immigration, dans la vie quotidienne au cours des dernières décennies, avec son langage, ses habitudes, le poids du patriarcat, la force du féminisme, les traditions et les nouvelles traditions.

Ce livre a longtemps traîné sur ma PAL. Je l’ai entamé en français, mais après une page, je me suis dit qu’il fallait que je le lise en anglais: la forme est en effet peu conventionnelle, avec de nombreux retours à la ligne et pas de points. C’est déconcertant pendant une ou deux pages mais très vite, je me suis habituée au rythme particulier que cette manière d’écrire constitue. L’anglais utilisé est contemporain, parfois un peu difficile à comprendre quand on entre dans le parler de tous les jours, mais ça ne m’a pas bloquée (je me suis par contre demandée comment tout cela était traduit, je n’ai pas vérifié). Je me suis très vite attachée à ces femmes tellement diverses, à certaines plus que d’autres, et je me suis reconnue dans certaines d’entre elles. Au fil des pages, toute une toile se tisse, créant un portrait très complet de la société contemporaine. J’ai adoré !

Bernardine Evaristo, Girl, Woman, Other, Hamish Hamilton, 2019, 453p. (il existe une traduction française par Françoise Adelstain, Fille, femme, autre).