Doctors and Distillers

Camper English, Doctors and Distillers: The Remarkable Medicinal History of Beer, Wine, Spirits, and Cocktails: l’alcool et les médicaments ont depuis toujours été liés dans l’histoire. Dès l’Antiquité, vin et bière servaient à l’hydratation et comme fortifiant, et l’alcool permettait de préserver des plantes et d’extraire leurs qualités médicinale. Camper English s’intéresse à ces liens et retrace l’histoire des divers alcools au fil du temps, parlant en même temps de l’évolution de la médecine, citant Hippocrate et Galen, l’alchimie, les premières découvertes scientifiques liées à la fermentation et aux bactéries. Il parle des moines qui ont créé des liqueurs et des bières et des marchands qui ont concocté des toniques soignant tout. C’est un texte intéressant même s’il ne m’a pas tant appris que ça (mais j’ai déjà beaucoup lu sur le sujet). Il est entrecoupé de recettes de cocktails, des classiques, parfois un peu simplifiés.

Camper English, Doctors and Distillers: The Remarkable Medicinal History of Beer, Wine, Spirits, and Cocktails, Penguin Books, 2022, 368p. (non traduit)

The Wager

David Grann, The Wager: A Tale of Shipwreck, Mutiny and Murder: en 1740, l’empire britannique est en guerre avec l’Espagne et des bateaux anglais sont envoyés vers l’Amérique latine pour intercepter les galions chargés d’argent et détruire le plus possible de bateaux de guerre espagnols. Une armada de plusieurs navires part pour un long voyage et The Wager en fait partie. Ce n’est pas le plus grand ni le plus solide mais il fait l’affaire. Le passage du Cap Horn est délicat mais c’est au large des côtes du Chili que le navire perd de vue le reste du groupe et fait naufrage. Les hommes arrivent à se réfugier sur une île déserte, assaillie par le vent et le froid, presque sans nourriture. Leur vie avait déjà été bien malmenée, certains avaient été recrutés de force, certains étaient déjà malades ou infirmes dès le départ, tous avaient souffert du scorbut pendant la longue traversée. Miraculeusement, des hommes survivront et rejoindront leur patrie, en deux groupes, et pourront raconter leur histoire.

David Grann s’est à nouveau engagé dans l’écriture d’une sacrée aventure. Comme pour ses livres précédents, il a fait de nombreuses recherches et a fouillé dans les archives. Il a même été sur place, sur l’île déserte isolée du monde. Mais ce qui est bien plus important: il a l’art d’écrire. Il met en scène les personnages réels comme si c’était un roman, il décrit leurs émotions et leurs états d’âme, se basant sur les livres de bord (très factuels) qui ont été ramenés. Peut-être n’est-ce pas tout à vrai mais c’est tellement proche de ce que ces hommes ont vécu. C’est un fantastique conteur qui nous plonge dans la vie sur les navires de l’époque, qui décrit les tempêtes dans les moindre détails (nous faisant froid dans le dos), qui comprend comment fonctionnent les hommes, comment ils changent dans des situations extrêmes. C’est très cinématographique comme livre, d’ailleurs, les droits ont été achetés par Martin Scorcese et Leonardo Di Caprio paraît-il. J’ai beaucoup aimé, alors que je ne suis pas très « histoires de mer ».

Une première participation au Booktrip en mer organisé par Fanja.

David Grann, The Wager: A Tale of Shipwreck, Mutiny and Murder, Doubleday, 2023, 329p. (traduit en français: Les naufragés du Wager)

Pathogenesis

Jonathan Kennedy, Pathogenesis. A History of the World in Eight Plagues: Encore un livre qui retrace toute l’histoire à partir d’un thème précis, me suis-je dit en le commençant. Jonathan Kennedy pose en effet comme thèse que la maladie et les épidémies sont à l’origine de grands changements dans l’évolution du monde et explique cela en huit moments forts de notre préhistoire et histoire. Au cours de ma lecture, je me suis dit que ce n’était pas plus mal de relire l’histoire sous cet angle-là. De plus, Kennedy parle des développements les plus récents de la (paléo)génétique. Mais à certains moments, j’ai eu l’impression que seule sa théorie comptait et qu’il ne prenait pas assez en compte d’autres éléments comme les changements climatiques (j’ai un livre sur ce sujet dans ma PAL, je serai curieuse de les comparer). Il reste aussi très eurocentré, il ne parle quasi que de l’homme blanc et de la colonisation en Afrique et Amérique, où divers pathogènes interviennent pour le faire avancer ou reculer, comme d’une part la variole mais d’autre part la malaria et la fièvre jaune. Même si je suis un peu dubitative sur le côté thèse unique, j’ai apprécié la lecture de ce livre qui est écrit dans un langage très abordable et clairement destiné à un large public.

Jonathan Kennedy, Pathogenesis. A History of the World in Eight Plagues, Crown, 2023, 304p. (non traduit en français, bien en néerlandais)

The Rediscovery of America

Ned Blackhawk, The Rediscovery of America: Native Peoples and the Unmaking of U.S. History: Ned Blackhawk écrit l’histoire des Etats-Unis, mais à partir d’un autre point de vue que celui utilisé habituellement, remettant à la première place les peuples autochtones qui vivaient sur le territoire avant l’arrivée des Européens. Il quitte donc l’eurocentrisme, teinté de colonialisme et de racisme, commençant son livre par l’arrivée de Christophe Colomb, et le terminant par ce qui se passe aujourd’hui.

C’est cette manière inédite d’aborder l’histoire des USA qui m’a attirée, mais au final, même si le livre est très intéressant, j’ai peiné dans ma lecture. Blackhawk parle de très nombreux traités et lois qui m’ont perdue par moments, surtout qu’il ne respecte pas toujours la chronologie. Dans d’autres chapitres, il aborde les peuples de la côte ouest et la colonisation espagnole de la Californie, l’établissement des pensionnats qui ont brisé les familles ou encore le rôle du Red Power des années 1970. Ces parties-là m’ont semblé bien plus parlantes. Une chose se démarque cependant dans tout le livre: la supériorité de l’homme blanc, et son racisme grandissant au fil des décennies, ainsi que du poids de la religion chrétienne (tout aussi détestable). Si ce n’est pas le thème principal, Blackhawk aborde le sujet du genre, parlant des sociétés indiennes matriarcales qui n’étaient pas acceptées par une société aux valeurs victoriennes et patriarcales. C’est un livre important, mais à mon avis, il aurait gagné à être un peu moins technique au niveau politique et plus descriptif des conditions de vie des Premières Nations (c’est souvent la cas quand il s’agit de publications académiques).

Ned Blackhawk, The Rediscovery of America: Native Peoples and the Unmaking of U.S. History, Yale University Press, 2023, 616p. (pas de traduction)

The Great Sea

David Abulafia, The Great Sea: A Human History of the Mediterranean: depuis plus de 3000 ans, la mer Méditerranée a été un des centres de civilisation. L’historien David Abulafia propose dans cet épais livre de retracer l’histoire des peuples qui ont habité sur ses rives, mais il parles surtout de leurs relations entre eux, commerciales et politiques, et ce, de la préhistoire à aujourd’hui. Il parle des bateaux qui naviguent sur ses eaux pour amener des biens divers d’un côté à l’autre mais aussi des guerres. Il constate que la seule période où toute la région a été unie, c’est au moment de l’empire romain, pendant l’Antiquité.

J’ai mis six mois à lire ce livre, c’est une assez bonne moyenne pour ce type de pavé. J’avais déjà beaucoup apprécié The Boundless Sea, qui retrace l’histoire mondiale en partant des mers et océans, et celui-ci part du même principe. Il a d’ailleurs été écrit avant. C’est une manière un peu différente de raconter l’histoire, plus globale, ne se limitant pas à un pays, à un empire, mais cela montre les interactions et permet d’inclure des cultures plus larges. Abulafia est lui-même Juif (il n’hésite pas à parler de quelques-uns des ses illustres ancêtres) et met l’accent sur les tribulations des marchands (surtout) et des savants (quelques-uns) juifs, dévoilant des développements plus souterrains, des liens moins connus dont on ne parle que peu dans d’autres ouvrages. J’ai été un peu surprise par le dernier chapitre, qui raconte l’histoire actuelle sous un autre angle, celui du tourisme, mais il s’agit toujours de commerce en fait. Il s’excuse aussi dans ces dernières pages de n’avoir pas beaucoup parlé des femmes, même s’il en a cité quelques-unes comme Beatriz de Luna que j’avais croisée dans Q, L’oeil de Carafa. Quant à l’écriture, le texte est dense mais il n’y a pas de jargon d’historien et c’est très fluide, ce qui rend le livre accessible à un plus large public.

David Abulafia, The Great Sea: A Human History of the Mediterranean, Allen Lane, 2011, 783p. (non traduit)

Alpinistes de Mao

Cédric Gras, Alpinistes de Mao: à la fin des années 1950, le Parti Communiste chinois décide que le pays dois conquérir l’Everest. Mais il n’y a localement aucune tradition d’alpinisme et des hommes sont choisis pour leur fidélité au parti et pour leur force physique, notamment Xu Djin et Liu Lianman. Ils reçoivent une formation par les alpinistes russes (déjà rencontrés dans Alpinistes de Staline) mais les relations entre les deux pays se dégradent. Finalement, en mai 1960, ils conquièrent l’Everest, en rampant et à bout de forces, mais y déposant un buste de Mao (qui n’a jamais été retrouvé). Est-ce bien la vérité ? Il n’y a pas de photo, l’ascension finale s’est faite de nuit.

Cédric Gras a fait de nombreuses recherches mais s’est heurté à la propagande chinoise qui a masqué beaucoup de choses et transformé la vérité. Personne ne saura jamais si des Chinois sont arrivés au sommet en 1960. Le seul survivant répète son discours officiel et il est peu probable qu’il revienne dessus. Gras doit donc beaucoup interpréter mais il reste très honnête et analyse constamment ses sources, les critiquant et cherchant des solutions plausibles. Ce livre raconte une aventure assez extraordinaire mais contrairement à l’histoire des alpinistes russes, il n’y a pas eu en Chine de mouvement cherchant à découvrir la vérité sous la propagande. Et quand la vérité ne plaît pas, les archives ont tout simplement disparu. C’est aussi un livre sur l’histoire de la seconde moitié du 20e siècle en Chine, du Grand Bond en avant à la Révolution Culturelle, puis les revirements ultérieurs une fois Mao écarté. J’ai dévoré ce livre en deux jours et je l’ai trouvé passionnant.

Cédric Gras, Alpinistes de Mao, Stock, 2023, 300p.

The Caucasus

Thomas de Waal, The Caucasus. An Introduction: ce livre décrit l’histoire du Caucase du Sud, de la Géorgie, de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan depuis le 19e siècle. C’est une histoire très complexe qui mêle minorités ethniques et religions différentes (christianisme et islam). C’est aussi une région qui est au coeur des routes commerciales, riche en pétrole dans la mer Caspienne, pétrole qui est acheminé vers la mer Noire et la Turquie par des oléoducs, obligeant les pays concernés (l’Azerbaïdjan et la Géorgie à garder de bons contacts). Thomas de Waal décrit également les conflits ethniques qui ont émergé au début des années 1990 après l’effondrement du bloc soviétique et explique comment beaucoup auraient pu être évités. Les Ossètes, par exemple, connaissent beaucoup de mariages mixtes avec les Géorgiens, et c’est surtout un discours très nationaliste (des deux côtés) qui a provoqué les guerres et un status quo aujourd’hui assez inextricable.

De même pour l’Abkhazie, où les forces en puissance ont provoqué de grands mouvements de population, chassant les Géorgiens, et passant sous l’autorité russe. Quant au Nagorno-Kharabakh (ou Haut-Karabakh), l’actualité des dernières semaines est la preuve que rien n’est résolu, et j’avoue qu’en lisant la description de l’origine du conflit, je n’ai pas tout compris tant tout cela est compliqué et obscur. On y voit cependant un renversement de la situation: alors que les Arméniens étaient au pouvoir initialement, les Azéris reprennent aujourd’hui le terrain. Mais on parle ici aussi d’un territoire où Arméniens et Azéris ont toujours cohabité en bonne entente, pendant des siècles.

A côté des ces conflits, de Waal parle aussi de l’histoire de chacun de ces pays, de leur gouvernement, des forces en puissance et du retour vers l’autocratie. Il montre comment les enjeux économiques sont importants pour cette région de passage coincée entre la Russie, la Turquie, l’Iran. C’est un livre très intéressant, qui permet d’éclaircir les tenants et aboutissements d’une histoire très compliquée. J’ai lu la version mise à jour en 2018, et depuis, les choses ont encore évolué. C’est un livre universitaire mais écrit pour le grand public.

Thomas de Waal, The Caucasus. An Introduction, Oxford University Press, 2018, 312p. (pas de traduction)

Un livre qui entre en partie dans le challenge des minorités ethniques d’Ingannmic, pour les Ossètes et les Abkhazes, mais aussi pour les Azéris, Arméniens et Géorgiens qui vivent dans des enclaves hors de leur pays.

A Concise History of Hong Kong

John M. Carroll, A Concise History of Hong Kong: ce livre décrit l’histoire de Hong Kong, depuis l’arrivée des Britanniques et la première guerre de l’opium en 1839 à la rétrocession en 1997 et ses premières conséquences (le livre datant de 2007, ça ne parle pas des événements récents et du pouvoir grandissant de la Chine). C’est le genre de livre dont je n’ai pas grand chose à dire: c’est académique mais lisible, sans jargon incompréhensible, un peu trop centré à mon goût sur l’histoire politique, et très sec. Il y a cependant une série de photos intéressantes qui illustrent le propos. Je ne peux pas dire que j’ai été passionnée mais j’ai appris les grandes lignes de l’histoire de Hong Kong, ce qui est déjà un bon début.

John M. Carroll, A Concise History of Hong Kong, Hong Kong University Press, 2007

Le propre et le sale

Georges Vigarello, Le propre et le sale. L’hygiène du corps depuis le Moyen Age: l’historien Georges Vigarello a étudié la question de l’hygiène dans ce livre très dense et (parfois un peu trop) érudit. Le titre est vaguement trompeur, sauf si on le lit avec attention: il commence en effet après le Moyen Age, à un moment où l’eau fait peur parce qu’elle serait en partie coupable des épidémies comme la peste. Hommes et femmes ne se lavaient plus; on se frottait le corps avec un linge sec et on changeait de chemise le plus régulièrement possible. Les sources ne parlent quasi que de la haute société, monsieur et madame tout le monde ne sont pas vraiment abordés et Vigarello s’intéresse peu à eux dans la première partie du livre. A partir de la fin du 18e siècle, l’eau commence à être apprivoisée et cela provoque des grands changements dans l’architecture des maisons et des villes (avec notamment la construction des égouts).

Le livre est intéressant mais je le trouve un peu sec. Vigarello parsème son texte de citations historiques et décrit ce qui se passe. Il montre comment les corps sont traités au fil du temps, il aborde les changements de la société et l’attrait grandissant pour la propreté. J’ai trouvé ce livre peu vivant alors qu’il parle justement de la vie et de la mort, des habitudes qui touchent au plus près de l’être humain mais cela reste un ouvrage intéressant sur le sujet. Cela s’explique sans doute par le fait que ce livre a été publié en 1985, et que depuis la manière d’écrire l’histoire a beaucoup évolué. Mais pour un livre de 1985, il reste malgré tout très digeste.

Georges Vigarello, Le propre et le sale. L’hygiène du corps depuis le Moyen Age, Editions du Seuil (Points Histoire), 1985, 282p.

Europe: A History

Norman Davies, Europe: A History: l’historien britannique Norman Davies s’est donné pour tâche d’écrire l’histoire de l’Europe entière, de la préhistoire à la chute du mur de Berlin. Il met en avant des régions moins connues, souvent oubliées, et entrecoupe son récit par des encarts aux thèmes très divers mais qui expliquent l’un ou l’autre élément plus large. Si j’ai commencé ce pavé, c’est parce que je me rendais compte qu’il me manquait plein d’éléments; ce que j’ai appris est un genre de gruyère, centré sur la Belgique (quand on étudie l’histoire à l’université, on rentre très souvent dans le très particulier, comme les institutions locales belges durant les Temps Modernes). Mais la guerre de Trente Ans ? Le premier chapitre sur la préhistoire m’a semblé un peu dépassé – le livre a été écrit au début des années 1990 et les analyse d’ADN ont bouleversé bien des idées reçues. Pour l’Antiquité, je connaissais déjà pas mal, de même que pour le Moyen-Age. C’est surtout sur la période 1400-1900 que j’ai appris beaucoup de choses, tout particulièrement parce l’auteur parle du parcours des Juifs sur le continent et inclut l’Europe de l’Est. J’ai donc découvert l’histoire de la Pologne, de la Lituanie, de la Russie. A nouveau, j’ai un peu décroché pour l’histoire du 20e siècle que je connais déjà bien. De plus l’auteur se lamente souvent sur les archives qui ne sont pas encore accessibles pour mieux comprendre certaines choses, notamment le déroulement de la Seconde Guerre mondiale (apparemment les archives soviétiques sont toujours fermées aujourd’hui).

C’est un livre touffu (j’ai mis cinq mois à le lire), mais qui reste digeste; par contre, on sent qu’il a déjà une trentaine d’années, et je préfère des livres plus récents. Mais il a comblé quelques trous du gruyère et m’a ouvert les yeux sur l’est de l’Europe.

Norman Davies, Europe: A History, Pimlico, 1996, 1365p. (pas de traduction française)