Regula Ysewijn, Van wafel to koek. Gebak uit het hart van de Lage Landen voor alle feesten van het jaar (2023): Regula Ysewijn, connue pour ses livres sur la pâtisserie britannique et sur les cafés traditionnels belges, s’attaque ici aux pâtisseries des Pays-Bas, dans l’ancien sens du terme et recouvrant donc la Hollande et la Belgique francophone et flamande. Elle a fait de nombreuses recherches dans les livres de cuisine du passé et dans les peintures de l’époque qui illustrent la vie quotidienne. C’est passionnant, et très précis, c’est une autre manière de revoir l’histoire d’une région. Les chapitres suivent le calendrier: le sucre était une denrée rare et luxueuse et on ne mangeait que des pâtisseries lors des grandes fêtes (religieuses) de l’année: Noël, mardi gras, Pâques, kermesses, Saint-Nicolas. Caractéristiques de ces contrées sont les gaufres (il y a 14 recettes !), mais aussi les pains de style cramique, les tartes (aux fruits) et les couques plus ou moins dures à base de miel et d’épices (de la couque de Dinant au spéculoos). Certaines recettes sont faciles à préparer, d’autres demandent un peu plus d’attention, certaines sont encore très gourmandes aujourd’hui, d’autres semblent peu attirantes (comme les couques trop dures, justement). En Belgique, chaque ménage possède un gaufrier (j’exagère sans doute): ma grand-mère en avait un, ma mère aussi, de la marque Nova; elles avaient aussi les gaufriers en fonte à utiliser sur le gaz / le poêle. J’en ai racheté un il y a quelques années (de la marque Fritel, avec les plaques interchangeables) et j’ai toujours quelques plaques en fonte que je n’utilise plus. La première recette que j’ai préparée, ce sont les gaufres de Regula. J’en ai noté d’autres, des tartes surtout. C’est un livre indispensable pour moi, à cause de mes origines, mais aussi à cause des recherches historiques aussi poussées.
photos: ***** (toutes les recettes sont illustrées avec de magnifiques photos de Regula, inspirées par les tableaux des maîtres de l’époque, aussi représentés dans le livre)
texte: ***** (recherches historiques et présentation de toutes les recettes, ainsi qu’une marche à suivre très détaillée)
Regula Ysewijn, Van wafel to koek. Gebak uit het hart van de Lage Landen voor alle feesten van het jaar, Carrera, 2023, 272p. (existe aussi en anglais: Dark Rye and Honey Cake mais pas en français – on ne peut qu’espérer).
Huit films vus depuis l’été passé, avec une belle collections de films en chinois suite à mes lectures de livres sur le sujet.
Le sorgho rouge, Zhang Yimou (Chine, 1987) – 3/5: une femme (Gong Li) est mariée de force à un vieil homme lépreux (qu’on ne verra pas). Celui-ci meurt et elle prend la tête de la distillerie de vin de sorgho. Elle entame une relation avec l’homme qui l’a sauvée d’un bandit. C’est un film extrêmement esthétique, qui joue sur les couleurs (rouge, ocre, vert), le vent dans le champ de sorgho et les paysages du nord de la Chine. J’avais vu ce film à sa sortie et j’avais beaucoup aimé mais 35 ans plus tard, je le trouve un peu trop emprunté, un peu trop « je filme des belles images et j’oublie le reste » (même s’il y a une histoire tragique avec l’arrivée de l’armée japonaise). #ChineseCinemas
Dante’s Peak, Roger Donaldson (1997) – 3/5: un film catastrophe avec un volcan qui entre en éruption, avec tous les clichés du genre et quelques moments de suspense insoutenable mais j’ai bien aimé. Le beau volcanologue (Pierce Brosnan) aide la maire du village (Linda Hamilton) en sauvant ses enfants qui ont voulu aider une grand-mère têtue qui ne voulait pas quitter sa maison. Il y a plein de trucs invraisemblables du genre: après avoir roulé sur la lave (et donc éclaté ses pneus), le héros continue à utiliser le pick-up comme si de rien n’était. L’explosion du volcan est en tous cas très bien filmée et semble très proche de la réalité.
The Heroic Trio, Johnnie To (Hong Kong, 1993) – 3/5: un trio de choc pour ce film d’action rétrofuturiste de Johnny To: Anita Mui, Michelle Yeoh et Maggie Cheung. L’histoire est très compliquée et pas toujours facile à suivre mais en gros, il y a des enlèvements de bébés, une justicière volante, une femme invisible, un eunuque maléfique, des flics un peu dépassés. Une musique dégoulinante de romantisme accompagne 95% des images (voire plus) et certaines images accentuent ce côté là: les ralentis, la colombe qui s’envole, les drapés des vêtements, la lumière dorée. Un film over-the-top à la hongkongaise mais clairement pas le meilleur. A noter: un chaton, une perruche, une colombe, des oiseaux, des orchidées, des décors qui sont clairement en carton pâte, et l’association d’une moto avec des chevaux. #ChineseCinemas
Me And You And Everyone We Know, Miranda July (2005) – 4/5: un film sans trop d’histoire, qui suit plusieurs personnages plutôt décalés, le père juste divorcé vendeur de chaussures, l’artiste pas encore reconnue qui conduit des personnes âgées et tombe amoureuse du père, les deux enfants qui chattent avec n’importe qui sur internet, la responsable d’un centre d’art contemporain qui chatte sans le savoir avec les deux enfants, les deux filles adolescentes qui découvrent leur pouvoir de séduction, la gamine qui compose déjà son trousseau de mariage. C’est léger, décalé, un peu bizarre mais surtout plein d’une certaine ambiance typique à Miranda July (dont c’est le premier film que je vois mais que j’ai entendu narrer avec beaucoup d’émotion Fire of Love de Sara Dosa et qui était le but du voyage de Sophie Bédard Marcotte dans L.A. Tea Time). #52FilmsByWomen
Even Cowgirls Get the Blues, Gus Van Sant (1993) – 1/5: mais quel mauvais film ! le critique Leonard Maltin résume bien l’affaire (via wikipedia): « The novel was hopelessly dated, and there is not enough peyote in the entire American Southwest to render this movie comprehensible or endurable. » 1h36 d’ennui et d’incompréhension donc, à repérer les divers acteurs cités au générique (et il y en a toute une palette, d’Uma Thurman à Keanu Reeves (en Indien pur souche ?!), d’Udo Kier à Grace Zabriskie… #theKeanuReevesFilmography
The World, Jia Zhang-Ke (Chine, 2004) – 4/5: le film suit une jeune femme, Tao, qui travaille dans un parc d’attractions représentant le monde à Beijing, ainsi que ses amis et collègues. Il analyse leurs relations amoureuses ou pas. C’est un peu long et comporte beaucoup de méandres mais Jia Zhang-Ke arrive à créer de superbes ambiances, grâce aux images mais aussi à la musique électronique de Lim Giong. Il y a ce contraste entre les bâtiments de carton-pâte et la dure réalité de la vie des immigrants à Beijing, une immense ville en construction (c’est la partie qui est montrée). #ChineseCinemas
Still Life, Jia Zhang-Ke (Chine, 2006) – 4/5: Han Sanming arrive à Fengjié, sur les rives du Yang-tsé, une ville qui sera bientôt engloutie suite à la construction du barrage des Trois-Gorges. Il recherche sa femme et sa fille qu’il n’a pas vues depuis 16 ans. Sans le sou, il commence à travailler dans la démolition des bâtiments de la ville. Shen Hong, infirmière, arrive également dans la ville, à la recherche de son mari dont elle veut divorcer. Ces histoires sont un prétexte pour filmer une ville qui se déconstruit progressivement, pour montrer les bouleversements d’une communauté qui va bientôt disparaître. Les images sont superbes, avec souvent des plans longs et panoramiques. Parfois un élément bizarre intervient, comme ce bâtiment en béton très brutaliste qui se transforme en fusée et décolle vers l’univers. C’est un film lent, mais visuellement très beau. #ChineseCinemas
Dong, Jia Zhang-Ke (Chine, 2006) – 3/5: ce documentaire a été filmé en partie pendant le tournage de Still Life, dans la région des Trois-Gorges en Chine, mais aussi à Bangkok. Jia suit le peintre Liu Xiao-Dong et le filme dans un documentaire très silencieux, aux belles images. Mon esprit a pas mal vagabondé mais je ne suis pas mécontente d’avoir vu ce film. #documentary #ChineseCinemas
Hallie Rubenhold, The Five: the Untold Lives of the Women Killed by Jack the Ripper: Polly, Annie, Elizabeth, Catherine et Mary-Jane, cinq femmes ayant vécu au 19e siècle, cinq femmes assassinées par Jack the Ripper (qui était-il ? ce mystère ne sera sans doute jamais résolu). La presse de l’époque les a très vite estampillées comme prostituées, mais seule une l’avait été. Ce sont par contre des femmes déchues, dans le sens où la vie n’a pas a été tendre avec elles. Ni la société d’ailleurs: à l’époque, seule une femme mariée était considérée. Si elle perdait son mari, elle perdait ses revenus. Il y avait bien des petits boulots mais ils ne permettaient pas de survivre, encore moins si elle avait des enfants à charge. Ces femmes se sont retrouvées à la rue, vivant dans des conditions miséreuses, trouvant au jour le jour quelques sous pour une chambre ou allant dans une des « workhouses » où elles devaient travailler pour obtenir gîte et couvert. Elles ont été des victimes faciles pour un prédateur qui courait les rues la nuit.
Hallie Rubenhold a fait un formidable travail d’historienne, fouillant dans les archives pour retrouver les traces de ces femmes et analysant la presse de l’époque en tentant d’extraire la vérité des articles très sensationnalistes (ce qui n’est plus vraiment possible). Elle raconte aussi la vie à Londres et décrit la société de l’époque, avec d’un côté les riches qui vivent à part, et puis de l’autre, une masse de personnes sans qualifications, ou avec des métiers d’artisans en voie de disparition, ou encore vivant de boulots abrutissants à l’usine. Elle parle surtout des femmes, de leur condition impossible qui oppose les femmes vertueuses et respectées aux autres, à toutes les autres pour qui c’est inaccessible par manque de revenus ou de protecteur masculin. En lisant ce livre, on se rend mieux compte du travail qui a été réalisé depuis pour améliorer la condition des femmes. Le récit est passionnant, et met en avant les victimes, leur donnant du corps, leur attribuant un passé et une vie propre. D’ailleurs l’autrice ne parle pas du meurtrier.
Une idée piochée chez Electra et qui est restée un certain temps sur ma PAL.
Hallie Rubenhold, The Five: the Untold Lives of the Women Killed by Jack the Ripper, Houghton Mifflin Harcourt, 2019, 333p. (pas de traduction en français à ce jour, et c’est bien dommage).
John Hirst, The Shortest History of Europe: après avoir lu l’histoire des Etats-Unis avant l’Indépendance américaine, je me suis rendue compte que j’avais de grands trous dans ma connaissance de l’histoire européenne du 17e au 19e siècle (et même avant aussi). Malgré mes nombreuses lectures, j’ai toujours contourné le problème et je m’y perds dans les guerres, les successions royales et les diverses révolutions. J’ai donc cherché de quoi me former et les sites que j’ai consultés pour trouver un livre à ce sujet renvoyaient en général vers les mêmes auteurs (j’ai cherché des livres en anglais, préférant éviter le francocentrisme et recherchant un style moins académique, ce qui est plus courant dans le monde anglo-saxon). J’ai été tentée par ce livre de John Hirst, historien australien, à cause de sa brièveté, mais après quelques pages, j’ai pensé l’abandonner. J’ai finalement continué parce que cela vaut parfois la peine de lire des généralités, surtout quand elles sont organisées pour créer des schémas relativement simples. Hirst relie ainsi l’Antiquité au Moyen-Age en précisant le rôle de la Grèce antique et de Rome, celui des Germains et celui de l’Eglise. Par la suite, c’est un peu plus confus, et je n’ai pas trouvé les informations que je cherchais, ou très peu, et je me suis même demandée pourquoi l’auteur détaillait autant la prise de pouvoir d’Hitler. Il est clair que le public cible est un public (australien) qui ne connait rien à l’histoire de l’Europe et au final j’ai bien peu appris. Mais il est intéressant de voir se dessiner de grandes lignes, ce que Hirst fait assez bien. Un livre plus complet m’attend déjà !
John Hirst, The Shortest History of Europe, Black Inc., 2012, 206p. (il existe une traduction en français, Une très brève histoire de l’Europe, City Edition, 2017)
Bertrand Van Ruymbeke, L’Amérique avant les États-Unis. Une histoire de l’Amérique anglaise, 1497-1776: j’ai toujours été curieuse de l’histoire des Etats-Unis, tout particulièrement la période de formation, mais je n’avais jamais cherché de livre sur le sujet. C’est en lisant un article dans la revue America que j’ai découvert l’historien français Bertrand Van Ruymbeke et que je me suis dit que cela pourrait être un bon candidat. J’avais le choix entre deux livres, un premier se limitant à la période avant l’indépendance et un second allant jusqu’à aujourd’hui. Le premier l’a emporté. Est-ce que j’ai bien fait ? Je n’en suis pas si sûre: le livre est extrêmement détaillé, et même si l’écriture est tout à fait abordable, l’auteur se perd un peu dans l’explication de divers éléments qui m’ont peu intéressés, comme les religions ou les institutions locales. Ce sont des éléments importants pour la formation de la nouvelle nation, mais j’aurais du lire la version plus résumée, ce que je ferai un jour vu que je m’intéresse aussi à la conquête de l’Ouest.
J’espérais également plus de détails sur la vie quotidienne des premiers colons, et les Premières Nations ne sont quasi pas évoquées, à moins qu’elles n’aient formé l’une ou l’autre alliance avec les colons. J’aurais aimé en savoir plus sur la vie à l’époque à l’ouest des Treize Colonies mais ce n’est pas abordé. Après avoir lu des livres d’auteurs anglo-saxons (ou belges), la liberté de la langue m’a un peu manquée, cette écriture qui n’hésite pas à faire des remarques tout à fait contemporaines dans le texte et à quitter quelque peu l’académisme (qui n’est malgré tout pas trop présent ici, j’ai lu bien pire dans le passé). Je suis tombée également sur un manque dans ma culture: j’ai eu du mal à comprendre la géopolitique de l’Europe à cette époque et les nombreux conflits entre nations (la guerre de Sept Ans), et cela me poussera à lire (enfin) une histoire de l’Europe (également abordée dans le récit de voyage d’Erika Fatland que je lisais en même temps).
Bertrand Van Ruymbeke, L’Amérique avant les États-Unis. Une histoire de l’Amérique anglaise, 1497-1776, Flammarion, 2016, 783p.
Johannes Krause & Thomas Trappe, A Short History of Humanity: A New History of Old Europe: je suis tombée sur ce livre un peu par hasard (par l’intermédiaire de sa traduction en néerlandais) et je me suis dit que ça pourrait compléter Au commencement était… J’avais tout à fait raison: Johannes Krause est archéogénéticien et travaille en collaboration avec Svante Pääbo qui vient de recevoir le prix Nobel. Il analyse donc l’ADN de nos ancêtres (proches et lointains) pour tenter de reconstituer au mieux notre histoire. Avant l’apparition de l’écriture, cette méthode est particulièrement intéressante pour mieux appréhender les mouvements de population. L’auteur commence donc à la préhistoire, avec la première arrivée de l’homme en Europe et en Asie. La génétique a permis de casser certaines théories plus anciennes, par exemple dans l’histoire des Neandertals, ou encore par rapport à l’arrivée de nouvelles peuplades en Europe.
Le livre suit l’ordre chronologique, et parle également beaucoup d’épidémies et de pandémies, notamment celle de la peste qui a laissé des marqueurs génétiques chez les hommes. Il y a donc vraiment beaucoup de sujets abordés dans un livre relativement court. L’écriture est très abordable et le livre est agréable à lire (l’auteur se met de temps en temps en scène, notamment quand il parle de son excitation face à ce petit bout d’os d’une jeune fille russe qui se trouve sur son bureau). C’est passionnant du début jusqu’à la fin et me donne envie d’en connaître encore plus. Le sujet m’intéresse depuis toujours et ce livre permet de faire connaissance de l’état des lieux des études actuelles.
Johannes Krause & Thomas Trappe, A Short History of Humanity: A New History of Old Europe, Random House, 2021 (traduction de l’allemand par Caroline Waight, première édition de 2019: Die Reise unserer Gene)
Andreas Stynen & Gerrit Verhoeven (éditeurs), Bestemming België. Een geschiedenis van toerisme in dertien etappes (1830-2030): ce livre rassemble treize articles racontant l’histoire du tourisme en Belgique, depuis l’indépendance jusque dans un futur proche. Les différents auteurs parlent notamment de l’attrait du tourisme de guerre, du champ de bataille de Waterloo à ceux du front de l’Yser, du tourisme religieux avec les apparitions de la Vierge à Banneux, des expositions universelles, du Congo Belge, de la création d’organismes encourageant le tourisme (en Flandre), des colonies pour enfants, du tourisme régional d’aujourd’hui. A vrai dire, c’est surtout un chapitre qui m’a intéressée, celui sur le développement du tourisme balnéaire à la fin du 19e siècle à Westende, une commune où mes parents avaient une maison et que je connais donc assez bien.
J’ai appris une série de choses, mais je me suis ennuyée aussi: le style d’articles et d’écriture est tellement académique, convenu, rigide. Chaque partie est conçue selon le même plan, avec un nombre de pages précis, et il y a parfois donc du remplissage, alors qu’on sent que certains autres auteurs auraient aimé s’étendre un peu plus. Il y a heureusement des photos qui viennent aérer le texte (mais là aussi, je trouve qu’elles sont finalement peu nombreuses). Intéressant donc, mais certainement pas passionnant.
Andreas Stynen & Gerrit Verhoeven, Bestemming België. Een geschiedenis van toerisme in dertien etappes (1830-2030), Ertsberg, 2022, 263p.
David Graeber & David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité: on a beaucoup parlé de ce livre (qui est devenu un bestseller, je crois) et j’ai longtemps hésité à le lire, craignant un ouvrage trop philosophique. Mon ami-collègue m’a rassurée, et du coup nous l’avons lu plus ou moins en même temps, ce qui nous a permis de discuter de notre lecture. Les auteurs partent d’un constat: on a toujours raconté que les société ont connu une évolution linéaire, de primitive à développée, avec l’arrivée de l’agriculture et de la propriété privée, puis des villes – la civilisation. Or pour eux, ce récit est faux et c’est ce qu’ils s’attachent à démontrer au cours des nombreuses pages de ce pavé. Ils se basent sur les recherches actuelles (archéologie, génétique…) pour déconstruire cette idée d’évolution linéaire et décrivent de nombreux groupes du passé qui ont vécu autrement, nous emmenant de la préhistoire et des chasseurs-cueilleurs aux premières sociétés mésoaméricaines.
C’est passionnant, du début jusqu’à la fin. Il est clair que les deux auteurs ont une thèse au départ, thèse influencée par leurs conceptions (anarchistes pour Graeber) mais la manière dont ils déroulent leurs arguments ouvre une toute nouvelle voie de pensée. J’ai aimé lire sur la préhistoire et sur l’histoire, j’ai apprécié en apprendre bien plus sur le passé et sur les nouveautés dans la recherche (ou sur les recherches oubliées qui n’auraient peut-être pas dû l’être). Dans la seconde moitié, les auteurs abordent par moments le statut de la femme – on voit qu’ils ont survolé les recherches féministes – mais ils ne creusent pas le sujet, ce qui est bien dommage (c’est mon seul petit bémol dans ce livre mais le reste est tellement intéressant que ça ne diminue pas ma note finale). Ils avouent d’ailleurs dès le début que ce livre n’est qu’une infime partie de tout ce qu’ils voulaient partager et qu’ils auraient pu écrire de nombreux autres volumes. Ceux-ci ne paraîtront pas, David Graeber est décédé juste au moment de la sortie du livre. J’aurais vraiment aimé lire la suite de leurs théories. Du coup, j’ai envie d’en savoir plus sur la préhistoire (je crois que j’ai trouvé un livre intéressant à ce sujet) et sur l’histoire de l’Amérique avant l’arrivée de Christophe Colomb.
David Graeber & David Wengrow, Au commencement était… Une nouvelle histoire de l’humanité, Les Liens qui Libèrent, 2021, 744p. (excellente traduction de l’anglais par Elise Roy, The Dawn of Everything: A New History of Humanity)
Amy Stanley, Stranger in the Shogun’s City: A Japanese Woman and Her World: Japon – première moitié du 19e siècle. Fille d’un prêtre bouddhiste d’un petit village à l’ouest du Japon, Tsuneno était vouée à une vie tranquille d’épouse, proche de sa famille. Mais après trois mariages arrangés et trois divorces, elle n’en peut plus et décide d’aller à la capitale, Edo (la future Tokyo), à un mois de marche de là. Elle y entame une nouvelle vie, pour la plus grande partie dans la pauvreté et au service de divers nobles de la capitale.
Cette histoire pourrait être celle d’un roman, mais ce n’est pas le cas. Amy Stanley, spécialiste de l’histoire sociale du Japon, a retrouvé des archives, les lettres que Tsuneno a envoyé à sa famille, mais aussi celles de son frère, de sa mère et d’autres personnes. Elle nous raconte donc une histoire vraie, et fait le portrait de toute une société à une époque donnée. Elle explique la vie d’une femme, ses joies et ses peines, mais aussi son rôle parfois limité à celui d’un objet ou presque, qu’on peut renvoyer à sa famille si le mariage ne convient pas (si par exemple, elle n’arrive pas à avoir des enfants ou a un caractère trop marqué) – le divorce était courant et très facile à obtenir. Dans la seconde partie, Stanley décrit aussi une ville, Edo, à une époque où les shoguns ont encore tout le pouvoir, juste avant que le pays ne soit forcé à s’ouvrir au monde. Elle parle des grandes demeures et du petit peuple qui vit et survit sur place, elle détaille le fonctionnement du théâtre kabuki et des quartiers de plaisir, elle nous emmène dans les temples. C’est le portrait d’une ville qui n’existe plus, ravagée par les nombreux incendies de l’époque puis rasée par le grand tremblement de terre de 1923 et par les bombes de la Seconde Guerre mondiale.
Si l’histoire de Tsuneno est au final assez ténue, ce livre est surtout intéressant pour la description de la vie quotidienne au Japon, à Edo, pendant la première moitié du 19e siècle, avant que de grands changements ne surviennent. Je me suis parfois un peu perdue dans les nombreuses descriptions, et les nombreuses suppositions d’Amy Stanley quant à la vie de Tsuneno montrent que les documents de base, les lettres, n’apportaient que des bribes d’histoire. Mais ce livre reste malgré tout un portrait passionnant d’une époque, vue de l’intérieur, par une femme. Je dirais que mon erreur a été d’entamer ce livre comme un roman plutôt que comme un livre d’histoire et j’ai parfois été un peu frustrée par mon rythme de lecture assez lent.
Encore un livre donc pour le challenge « Sous les pavés, les pages » organisé par Athalie et Ingannmic, à propos de Tokyo cette fois-ci.
Amy Stanley, Stranger in the Shogun’s City: A Japanese Woman and Her World, Scribner, 2020, 352p. (non traduit).
David Abulafia, The Boundless Sea: A Human History of the Oceans: les mers et les océans ont depuis toujours été un lien entre les humains; ils ont permis de communiquer et de partager des nouvelles idées et de faire du commerce. Dans ce pavé, David Abulafia s’intéresse aux océans (il avait déjà écrit un livre sur la Méditerranée – que j’ai bien envie de lire également) et retrace l’histoire mondiale à partir de ceux-ci. Il commence par le Pacifique parce que c’est par cette voie-là qu’ont eu lieu les premiers déplacements d’île en île, menant à la découverte de toute la région au fil des millénaires. Il se tourne ensuite vers l’Océan Indien et les premiers liens commerciaux entre le Proche-Orient, l’Inde et l’Asie de l’Est. Enfin, il parle de l’exploration de l’Atlantique, puis du commerce mondial.
J’ai revu toute l’histoire du monde par ce livre, une histoire globale qui porte autant d’attention aux peuples navigateurs du Pacifique qu’aux explorateurs portugais et espagnols, en passant par le Japon, la Chine, l’Indonésie et tant d’autres pays. J’aime ce côté qui n’est pas eurocentré et qui permet de découvrir d’autres facettes de l’histoire. Je connaissais déjà pas mal de choses sur le sujet, mais j’ai aussi appris de nouvelles choses; il y a notamment tout un chapitre qui parle des diasporas de marchands (Juifs, mais aussi Arméniens et Chinois), et qui montre l’ambiguïté de la religion. Suite à l’Inquisition espagnole, de nombreux Juifs se sont convertis et sont devenus de « nouveaux chrétiens » – ce qui n’était souvent qu’une façade. Il est intéressant de voir aussi qu’Abulafia parle à peine de la « découverte » du Pacifique par les Européens à partir du 16e siècle: il en avait parlé en long et en large dans son premier chapitre, décrivant la première occupation des îles et la technologie maritime des peuples de la région. Enfin, j’ai aussi beaucoup appris sur la navigation des Vikings et leur installation en Islande et au Groenland, puis sur le commerce de la Hanse. J’ai juste réalisé un peu tard que quand il parle de « Fleming », il parle des « Flemish » ou Flamands – encore un mot que je ne connaissais pas.
J’avais déjà lu The Sea and Civilization de Lincoln Payne il y a deux ans. Le livre d’Abulafia le complète bien. Il est moins technique (je m’étais un peu perdue dans les descriptions des bateaux, surtout en anglais, alors que je ne maîtrise même pas le vocabulaire en français) et plus basé sur les liens commerciaux. Il n’hésite pas non plus à de temps en temps faire une petite pique ou une comparaison avec des choses du présent, ce qui rend ce pavé très agréable à lire (même si j’ai mis quatre mois, un ou deux chapitres à la fois). L’auteur m’avait été conseillé par mon ami-collègue qui m’avait beaucoup parlé de la Méditerranée, mais j’ai choisi de d’abord lire celui-ci (qu’il lit aussi entretemps). C’est très dense, mais vraiment intéressant.
David Abulafia, The Boundless Sea: A Human History of the Oceans, Penguin Books, 2020 (première édition 2019), 1050 pages dont 908 de texte suivi.
Un troisième livre donc pour le challenge Pavé de l’été organisé par Brize.