Serena

Ron Rash, Serena: début des années 1930 – George Pemberton, riche exploitant forestier, revient en Caroline du Nord avec sa nouvelle et belle épouse, Serena. Elle est tout aussi avide d’argent que lui. Elle surveille le travail des bûcherons qu’elle aide avec son aigle qui tue les serpents venimeux et elle s’implique dans les manigances locales. Il y a en effet un projet pour transformer cette région en parc national. Mais ce qui la dérange le plus, c’est le fait que George ait eu un enfant avec une servante, Rachel, et sa jalousie est sans bornes.

Ron Rash propose ici un vrai thriller, les morts se succédant à un rythme assez effréné, que ce soient des accidents liés à l’exploitation des arbres et au dangereux métier de bûcheron ou des meurtres prémédités. Il alterne les points de vue, laissant la parole aux ouvriers et à Rachel. Il décrit également toute une région, celle des bouseux des Appalaches et parle en filigrane de la grande dépression. Plusieurs lectrices ont dit qu’elles ont détesté le personnage de Serena, Athalie notamment en a reparlé après avoir lu le dernier recueil de nouvelles de l’auteur et c’est ce qui m’a poussée à lire le roman. Je n’ai pas ressenti la même chose, j’ai même été assez fascinée par sa noirceur. J’ai eu l’impression que Ron Rash a voulu créer un personnage aussi sombre pour encore mieux montrer comment ce déboisement massif a causé des torts irréversibles à l’environnement. Parce c’est bien de ça que parle le roman, et c’est cette impression de désastre qui reste le plus longtemps en tête.

Ron Rash, Serena, Le Masque, 2011, 380p. (première édition en 2008, traduction par Béatrice Vierne)

Le monde à l’endroit

Ron Rash, Le monde à l’endroit: c’est l’été, et Travis Shelton, alors âgé de 17 ans, part à la pêche aux truites. En cherchant un endroit isolé, il remonte la rivière et tombe sur une plantation de cannabis. Il en coupe un pied et le revend à Leonard, ancien enseignant devenu dealer. Comme cela rapporte bien, il retourne une seconde fois, et une troisième fois mais il se fait prendre par le propriétaire du champ Carlton Toomey qui lui sectionne le tendon d’Achille avant de l’amener à l’hôpital. Si cette histoire vous semble familière, c’est le cas: c’est en effet une nouvelle déjà publiée qui forme le début du roman de Ron Rash. Travis décide de ne plus se laisser faire par son père et quitte la maison, allant habiter chez Leonard. Ce dernier le guide, l’aide à envisager un avenir, et lui raconte le massacre qui a eu lieu lors de la guerre de Sécession dans la région. Travis devra choisir sa voie, et cela ne se fera pas sans embûches.

La pêche à la truite et Ron Rash, ça fait deux ! Une fois de plus, l’auteur nous emmène au bord d’une rivière, mais aussi dans une petite communauté de Caroline du Nord où les gens n’ont pas beaucoup d’avenir, où ils vivent dans des mobile home, où ils tentent de survivre en cultivant du tabac, où les femmes essaient d’étudier pour améliorer leur condition. C’est un portrait assez sombre d’une région rurale, mais surtout le récit d’un adolescent qui devient adulte, qui doit faire des choix pour son avenir. Les deux-tiers du roman se déroulent assez lentement, sans vraiment ennuyer le lecteur mais sans trop le passionner non plus, et puis la dernière partie s’accélère, offrant une conclusion au récit que je ne vais pas raconter ici. J’ai aimé ce roman, et je compte donc bien continuer ma lecture chronologique de l’auteur.

Ron Rash, Le monde à l’endroit, Seuil, 2012, 282p. (traduction par Isabelle Reinharez, publié à l’origine en 2006: The World Made Straight)

The Night the New Jesus Fell to Earth

Ron Rash, The Night the New Jesus Fell to Earth and other stories from Cliffside, North Carolina: Tracey, Randy et Vincent racontent leur vie à Cliffside, en Caroline du Nord. Ils prennent la parole chacun à leur tour et le livre prend le format de la nouvelle, mais les récits forment un tout, reliés entre eux par une introduction et une conclusion. C’est le premier écrit de Ron Rash, publié en 1994. Il y raconte la vie d’une petite communauté très religieuse, très attachée aux traditions, avec des histoires liées au mariage, à l’alcoolisme, à l’enfance, à l’élevage des opossums. Le ton est par moments sérieux, mais aussi souvent très léger, très drôle même, contrairement aux futurs livres plus sombres de l’auteur. Dans l’histoire qui donne le titre au recueil, on suit le pasteur de la communauté qui, pour redonner de l’élan à son église, organise une Passion avec un vrai-faux Jésus crucifié. Sauf que tout ne se passe pas comme prévu. Il y a également une histoire d’apparences et de couple qui se sépare presque parce que le mari ne s’occupe pas du jardin, une vraie jungle remplie de broussailles, le tout raconté du point de vue de leur jeune fils. C’est un livre qui se lit vite, et qui laisse une très bonne impression. Je crois que j’ai bien fait de décider de lire tout Ron Rash (son second livre est introuvable, par contre, mais je n’ai pas encore essayé Abe Books qui est souvent une bonne source – j’y trouve les Joyce Carol Oates qui sont épuisés – après recherche, je laisse tomber: les prix sont exorbitants, plus de 100 euros).

Ron Rash, The Night the New Jesus Fell to Earth and other stories from Cliffside, North Carolina, University of South Carolina Press, 2014 (édition du 20e anniversaire, première publication en 1994), 160p. (non traduit)

Chemistry and other stories

Ron Rash, Chemistry and other stories: à un moment au cours de l’année écoulée, j’ai ajouté Ron Rash à la liste de ces auteurs dont je veux lire toute la production, et j’ai donc découvert qu’il avait écrit beaucoup de nouvelles. Ce recueil a été publié en 2007 (je pensais suivre l’ordre chronologique, mais en fait non), et certaines des histoires ont été à l’origine de romans complets (Pemberton’s Bride est devenu Serena). Ron Rash a l’art d’écrire des histoires très locales, décrivant les petites communautés de Caroline du Nord et du Sud, des Appalaches. Elles se passent au temps présent mais aussi tout au long du 20e siècle – seuls quelques indices permettent de plus ou moins situer l’action. Souvent, l’arrivée de la modernité chamboule les traditions. Les thèmes sont variés, et certains ne me parlent pas du tout, comme la pêche (avec description minutieuse des appâts et du matériel) ou le basket (c’est l’histoire qui m’a le moins plu). Mais même celle autour de la pêche est finalement assez drôle: elle raconte comment quelques hommes âgés décident de partir à la recherche de cet immense poisson repéré par un pêcheur et quels tactiques ils utilisent.

La mort est très présente: un homme se noie dans un réservoir, une femme, accompagnée d’un arpenteur, part à la recherche de l’endroit isolé où son fils a été tué, pour connaître la place exacte du crime. Il y a de l’alcool, des drogues, un bébé mort-né, des dépressions dont on n’arrive pas s’extraire – la vie est difficile dans ces contrées. C’est rude, mais c’est très beau, et j’ai retrouvé avec beaucoup de plaisir cet auteur dont les nouvelles sont tout aussi percutantes que les romans. (Et ne vous arrêtez pas à la couverture qui est particulièrement peu engageante, je trouve).

(Electra et Marie-Claude n’ont pas eu l’occasion d’organiser « Mai en nouvelles » cette année mais j’ai quand même décidé de lire quelques recueils et d’utiliser le mot-clé.)

Les nouvelles:

Their ancient, glittering eyes —
Chemistry —
Last rite —
Blackberries in June —
Not waving but drowning —
Overtime —
Cold harbor —
Honesty —
Dangerous love —
The projectionist’s wife —
Deep gap —
Pemberton’s bride —
Speckled trout.

Incandescences

Ron Rash, Incandescences: des romans de Ron Rash, j’en ai lu plusieurs, et j’avais d’ailleurs commencé ce recueil il y a quelques mois, un de ces jours où je devrais prendre les transports en commun et où je ne voulais pas me charger avec le pavé en cours. Et puis je l’ai abandonné, parce que les nouvelles, il me faut toujours un peu de courage pour les lire. Pas parce que je n’aime pas, mais plutôt à cause d’une question de temps et de rythme: quand je lis, souvent je suis interrompue par des question de temps (dans les transports il vaut mieux que je ne rate pas mon arrêt; le soir j’ai tendance à m’endormir au milieu d’une page), or pour les nouvelles, c’est plus agréable de les lire en entier en une fois. Et parfois j’ai du mal à en lire plusieurs d’affilée. Ce « Mai en nouvelles », activité organisée par Electra et Marie-Claude, tombe donc à pic pour lire tous ces recueils accumulés au fil des ans. Sauf qu’en faisant le compte dans ma PAL, je n’en ai trouvé que deux (sauf erreur, ce qui est bien possible) et j’ai commencé à regarder ce que comptaient lire d’autres lectrices – j’ai évidemment été tentée par plusieurs livres. Cette activité me pousse aussi à continuer mon challenge Joyce Carol Oates. Elle a en effet écrit de nombreuses nouvelles mais le suivant dans ma liste chronologique est un roman (terminé depuis). J’ai dû commander (en seconde main) les recueils de nouvelles en question mais, avec un peu de patience, ils sont arrivés – on verra bien si j’en lis au moins un pour la fin mai.

Mais revenons à Incandescences. Ron Rash nous emmène comme toujours dans les Appalaches, en Caroline du Nord et du Sud, pas dans les grandes villes mais dans la nature, dans les lieux isolés, dans les villages. Il raconte l’histoire de gens simples, souvent paumés, souvent sans le sou, comme cet homme qui part piller des tombes de soldats confédérés pour gagner un peu d’argent qui lui permettra de payer les factures d’hôpital de sa mère. Une autre nouvelle marquante est celle de ce prêteur sur gages qui se rend compte du drame que vit son frère et sa belle-soeur, chassés de leur maison par leur fils drogué aux méthamphétamines – le tout pendant une tempête de neige. (Je ne prends pas de notes pendant mes lectures, et là, je me rends compte que je devrais…). Ron Rash retourne aussi dans le passé, celui de la Grande dépression, avec cette histoire d’oeufs qui disparaissent la nuit, et plus loin encore avec la Guerre de Sécession. J’ai été touchée par cette dernière nouvelle, par la force de cette femme qui montre sa détermination pour sauver ses biens et sa famille. Une femme forte donc, parmi toute une galerie de personnages marqués par la vie, et décrits avec compassion par l’auteur. C’est sombre et lumineux en même temps.