Fluctuations (V)

Quelque part, je me sens assez bien avec ce confinement obligatoire. Je ne me sens pas forcée de sortir et de socialiser. Mais je sais aussi que sortir me fait du bien, et après deux mois, ça me manque. Sauf que je ne sais pas comment faire, je ne sais pas comment attirer l’attention sur moi. Chacun est dans sa bulle, avec son conjoint, ses enfants, des amis. Et moi je n’ai pas grand monde, très peu de famille, un papa qui est confiné dans sa maison de repos et qui ne m’écoute plus qu’à moitié, même s’il va relativement bien pour le moment. (J’ai écrit une partie de ce texte en début de semaine, pendant un moment de déprime, mais depuis, j’ai « attiré l’attention » de quelques amis; comme j’ai écrit encore beaucoup d’autres choses dans ce billet, je ne souhaite pas l’effacer.)

Des amitiés de longue dates qui se délitaient déjà se sont définitivement terminées, et j’en souffre. Je n’ai pas réussi à tempérer et arranger les choses malgré des excuses répétées dans un des cas; j’ai beaucoup de mal à accepter la situation. Je ne vois plus que le rejet clair et net. Sans doute que cette crise du covid ne fait qu’accentuer ce rejet, à une période où on est censé se soutenir. Mais comme je le disais, ça avait commencé avant et le covid n’a fait que précipiter les choses. On me dira aussi que je l’ai cherché, que j’ai tout fait pour me rendre détestable, à tel point que je m’en suis presque convaincue. Cela ne fait que répéter un schéma, j’ai l’impression. Et puis si je regarde l’autre côté, toutes mes amitiés ne se terminent pas comme ça; certains amis restent fidèles depuis très longtemps. « Va chez un psy », m’a-t-on répété. C’est facile à dire, surtout quand on a des proches pour s’épancher sans vraiment s’en rendre compte. Ce qui fait mal aussi, c’est ce bannissement total via les réseaux sociaux, un à un, d’instagram à goodreads, comme si je ne le remarquais pas. C’est comme si je n’existais plus. Un rejet aussi violent ne m’est pas arrivé très souvent, il y a eu mon ex mais le rejet était partagé, et puis avant, ça remonte sans doute à l’école primaire ou secondaire.

Le déconfinement se met en route, mais il n’est pas encore vraiment passé par moi. Oui, j’ai été acheter des plantes exotiques – ça me manquait et ça m’a fait du bien – mais je n’ai vu personne. Je n’ai pas rempli ma bulle de quatre personnes (j’ai eu ce sentiment de « dernière choisie pour l’équipe de basket à l’école »). J’ai vu quelques collègues lors de mes courtes incursions au bureau. J’ai eu quelques contacts par messenger mais ça s’étiole. Je sais que c’est à moi de faire les efforts, mais je n’y arrive pas vraiment. Je crois que si j’étais seule « Dans la forêt », je m’adapterais bien à la situation. Je n’aurais personne à qui me comparer.

Je m’en sors bien en voyage, au Japon tout particulièrement. Il y a plein de choses à visiter qui me plaisent. Ici, je n’arrive pas à prendre l’initiative de sortir de chez moi, d’aller me promener, de faire une randonnée, comme si la solitude était moins acceptable ici qu’en vacances. Et donc je reste chez moi. Heureusement j’ai un jardin mais l’horizon est quand même limité.

Le confinement n’est pas tendre avec les personnes seules. Elles ont été oubliées. Qui pouvais-je voir ? Heureusement, ma voisine était là, mais je ne peux pas lui parler de lectures, de cinéma, de séries tv… Je n’ai plus touché personne depuis deux mois et demi et cela risque de durer encore un moment (les larmes me sont montées aux yeux quand je l’ai raconté à une amie / collègue mais elle ne pouvait rien faire, à part prendre des risques que je ne voulais pas qu’elle prenne). Je n’ai personne que je peux prendre dans mes bras (mon papa, c’est interdit). (Si ça fait aussi deux mois et demi que vous n’avez touché personne, comment le vivez-vous ?) Avant je faisais la bise à des amis, ou parfois même un câlin, ce n’était pas énorme ni suffisant, mais c’était déjà bien mieux.

Je ne sais vraiment pas comment sortir plus souvent, comment me faire de nouveaux amis. Des amis qui comprennent que je refuse leurs invitations parce que j’ai besoin d’être seule, parce que je suis un peu bizarre, plus introvertie que la moyenne. Mais des amis qui m’accueillent avec plaisir quand j’ai envie de sortir et qui ne font pas d’histoires parce que la semaine avant je n’ai pas voulu socialiser. Des amis qui me disent ce qu’ils pensent mais avec bienveillance, des amis tout simplement.

Même hors du confinement, je ne suis pas une grande spécialiste des liens sociaux. C’est un peu un cercle vicieux: je suis timide donc on ne me remarque pas et comme on ne me remarque pas, je m’enferme encore plus. J’ai envie qu’on vienne vers moi alors que c’est le contraire, c’est à moi de faire les efforts, et c’est là que j’abandonne la plupart du temps, souvent parce que je ne sais pas comment faire. J’ai plein d’intérêts mais ils sont souvent un peu trop particuliers. Les réseaux sociaux m’ont permis de faire connaissance avec certaines personnes aux mêmes goûts que moi, mais pas tant que ça. Et les réseaux sociaux n’ayant pas de frontières, il est souvent impossible de voir de ces amis qui habitent loin.

90% du temps je vais bien, 10% du temps je suis misérable, je me sens seule et abandonnée de tous.

Tout ça va passer, probablement. Tout passe.

(D’ailleurs, comme je le disais plus haut, quelques jours ont passé et j’ai de nouveau basculé dans les 90% du temps, mais je ne souhaitais pas effacer ce texte très personnel qui raconte beaucoup sur moi et qui parle de blessures très récentes).

4 réponses sur « Fluctuations (V) »

  1. Ness dit :

    J’imagine bien qu’une amitié qui se termine de la sorte doit être rude à vivre, peu importe les raisons – que tu sembles comprendre, de la terminer.
    J’ai vécu le confinement en famille, avec une solitude empêchée 😉 donc ce n’est pas du tout comparable. Mais par contre, quand il a s’agit de déconfiner, ça m’a rappelé quelques faits désagréables sur ma vie de famille aussi, de ne pouvoir remplir ma vie que de deux personnes sur les quatre autorisées. Un couple d’ami sans enfant n’a été prioritaire pour personne car la priorité a été de faire se revoir petits enfants et grands parents. Je pense que ces règles ont été assez confrontantes pour plusieurs personnes.
    Mais j ai une pensée toute particulière pour les personnes vivant seule, et pour cette absence de contact physique qui suscite toute ma compassion même si je ne peux pas comprendre à quel point c’est dur.
    Je ne suis pas très sociable non plus, je ne pense pas à appeler les gens. Je leur pose peu de questions sur eux car je laisse venir la conversation, que je ne sais pas entretenir. Ou alors avec une certaine nervosité. 90% de ma vie sociale provient de l’entourage de mon compagnon, qui sait lier des amitiés durables (dont il m’évite de me couper à la moindre contrariété, Pcq en plus, je suis vite heurtée). Et je me sens souvent intimidée par les personnes, comme toi, qui ont des passions et sujets de connaissance pointus parce que je n’arrive pas à en faire autant 😉 Mais je garde un très bon souvenir de notre virée chez les bouquinistes il y a un bail. On pourrait remettre ça, ou autre chose, cet été?

    1. Merci.
      Si tu es intimidée par mes connaissances, moi je suis intimidée par ton engagement social et tes longs commentaires très détaillés qui touchent très juste – et donc, je dirais match nul ! intimidations qui n’ont pas lieu d’être, je pense, j’ai vraiment été surprise que tu écrives ça. Si je lis beaucoup, c’est parce que j’ai beaucoup de temps, et aussi un métier qui le demande.
      Moi aussi je garde un bon souvenir de cette journée, et en effet, on devrait se donner rendez-vous cet été, ce qui nous permettra de parler de tout ça plus en profondeur. J’ai toujours apprécié la finesse de ton jugement sur plein de choses.

  2. Zephine dit :

    J’ai beaucoup apprécié de lire ce texte si personnel.
    Je suis diamétralement l’opposé de celle que tu décris être: extrovertie, à l’aise en toute situations, j’ai eu la chance de passer le (très court) confinement néo-zélandais avec mon compagnon et nos deux colocataires. Cet isolement à quatre à été salvateur pour moi qui puise mon énergie dans mon entourage!
    Mon compagnon est lui plutôt très introverti, du genre à refuser une sortie si il ne connait personne (où je saute de joie à l’idée de faire de nouvelles connaissances), ou à disparaître de la circulation au milieux d’une soirée en petit comité parce qu’il a besoin de se ressourcer seul au calme , après avoir passé trop de temps à socialiser.

    Tout ça est inconnu pour moi, et lire ton témoignage m’aide à comprendre un peu mieux la douleur que ce confinement à pu provoquer chez certains, mais aussi la difficulté d’être un introvert dans un monde majoritairement extrovert.

    En ces temps de questionnements sur les avantages liées aux races/genres /situation socio-économique, je constate de plus en plus que dans mon « bingo gagnant*  » de jeune femme blanche, hétéro cris-genre, en bonne santé avec un haut niveau d’éducation et de revenus, je dois y ajouter la case « extrovertie ».

    Merci pour ce cheminement dans ma réflexion.
    Et ne connaissant pas personnellement ce problème de difficultés à rencontrer de nouvelles personnes, je ne me permettrai aucun « taka / yaka » conseil mal informé.
    Mais je suis là pour écouter, pour apprendre et comprendre nos différences, et en discuter malgré la distance si tu le souhaites.

    * expression utilisée par beaucoup de mes amis poc et/ou issu de la communauté LGTB+ lors de discussion sur les avantages acquis/innés dans la société injuste qui est malheureusement la notre…

  3. Si ce billet te permet de mieux te comprendre toi-même, ça me fait plaisir. Et en effet, je suis comme ton compagnon, j’ai déjà souvent refusé d’aller à des soirées où je ne connaissais personne, et si je le fais, c’est souvent fort difficile pour moi. Parfois j’ai assez d’énergie pour surmonter le défi, mais parfois pas.

    Vous avez en effet de la chance en Nouvelle-Zélande, avec un lockdown très court et plus de nouveaux cas. Ici, ça a atteint un niveau stable mais ça stagne quand même. Et je me rends compte que j’ai beaucoup de mal à sortir à nouveau…

    Merci pour ton long commentaire !

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