At the movies – 29 (2020s)

Last and First Men de Jóhann Jóhannsson

Les deux premiers films de cette série ont été vus en vision de presse pour mon boulot; malheureusement mon nouveau chef a décidé que c’était fini. Je regarderai donc les nouveaux films comme tout le monde, (bien) après leur sortie. Il y aura sans doute moins de diversité vu que je me laisserai plus guider par mes goûts (plutôt que par la plus ou moins obligation d’écrire un article par semaine). Je suis fort triste de cette évolution parce que j’ai adoré cette période où j’étais devenue « critique de cinéma », une chose qui me semblait impossible au départ mais qui m’a donné beaucoup de confiance en moi quand j’ai réalisé que j’aimais faire ça et que j’ai commencé à recevoir des compliments pour mes articles.

Everything Everywhere All at Once, Daniel Kwan & Daniel Scheinert (2022) – 3/5: un film virevoltant avec Michelle Yeoh en propriétaire de laverie fatiguée, à la veille d’un contrôle des impôts et d’une visite de son père qui n’a jamais accepté son mariage, et avec une fille (Joy) qu’elle a du mal à comprendre. Interviennent alors des multivers qui changent sa réalité (elle peut se battre en utilisant du kung-fu) et qui la font réfléchir sur sa vie. Il y a plein de choses bien dans ce film: Michelle Yeoh et Jamie Lee Curtis, deux actrices de la cinquante-soixantaine, les références à plein de films (Ratatouille, In the mood for love, Crouching Tiger, Hidden Dragon et pour moi aussi Bill and Ted’s Excellent Adventure), les costumes de Joy. Mon seul reproche est que le film est un peu trop long et fouillis.

Heimaland, Dorus Masure & Ischa Clissen (Belgique, 2022) – 3/5: qu’est-ce que ça fait de vivre au pied d’un volcan qui risque à tout moment de se réveiller ? c’est ce que raconte ce documentaire, par l’intermédiaire des habitants de la petite ville de Vík en Islande, et tout particulièrement un vieux monsieur qui mesure différents paramètres volcaniques dans son temps libre, un propriétaire d’hôtel qui est content d’avoir vu le tourisme se développer et une jeune immigrante lituanienne qui vit là avec sa mère. Il y a de superbes paysages mais au final c’est juste une tranche de vie sans trop de contenu.

Last and First Men, Jóhann Jóhannsson (Islande, 2020) – 3/5: le compositeur islandais réalise ici son premier (et unique) film qui est une longue série d’images assez hypnotiques et au grain très marqué de sculptures brutalistes de l’ex-Yougoslavie (c’est le thème du moment chez moi) avec un texte basé sur un livre de science-fiction des années 1930 (d’Olaf Stapledon) lu par Tilda Swinton. Mon esprit a beaucoup vagabondé, porté par le musique, la voix et les images mais je me suis quand même dit que ça cadrerait mieux dans un musée comme installation que comme documentaire à voir au cinéma/à la télé.

Elvis, Baz Luhrmann (2022) – 3/5: un biopic virevoltant à propos de la vie d’Elvis Presley et de sa relation avec le Colonel Parker. J’ai appris pas mal de choses sur l’artiste et la manière dont il a été exploité par ce louche personnage. La réalisation est over-the-top, avec le rythme d’un comic book, des images très colorées et un montage baroque par moments. C’est un peu trop pour moi. J’ai beaucoup aimé les scènes avec les musiciens de blues, qui apportent un moment de calme, mais elles n’expliquent que très peu l’inspiration du chanteur. Austin Butler est excellent dans son rôle d’Elvis, Tom Hanks est caricatural dans celui du colonel, avec des moments où j’ai été gênée de le voir aussi mauvais. Avec aussi Kodi Smit-McPhee dans le rôle du fils de Hank Snow.

Blonde, Andrew Dominik (2022) – 4/5: la vie de Marilyn Monroe, mais à travers l’angle de Joyce Carol Oates, vu que c’est une adaptation de son roman. Et ça se sent. Les émotions sont exacerbées et l’actrice (jouée par Ana de Armas) est tourmentée du début jusqu’à la fin (il n’y a aucun moment qui montre son côté comique dans les films). Le format d’image change constamment et la couleur succède au noir et blanc très contrasté, accentuant encore plus les émotions, tout comme la musique de Nick Cave et Warren Ellis d’ailleurs. Dominik s’est basé sur les photos de l’époque, reconstituant certaines ambiances mais prend dès le départ son propre chemin en ne montrant qu’une facette de l’actrice. C’est beau, touchant, et très prenant, dissonant aussi, contrairement à Elvis que j’ai vu quelques jours avant. Ce n’est plus vraiment un biopic mais une nouvelle histoire inspirée par la vie d’une actrice célèbre.

Les Olympiades, Jacques Audiard (France, 2021) – 4/5: ce film avait tout pour me plaire: il est basé sur des histoires d’Adrian Tomine et tourné dans un noir et blanc contrasté et brillant au milieu du quartier des Olympiades à Paris, avec ses tours modernes et ses grands espaces ouverts. Il raconte les rencontres entre Emilie, Camille, Nora et Amber Sweet et les (difficiles) relations (amoureuses) qui se nouent entre eux. C’est le portrait d’une génération qui a du mal à trouver le bonheur. (Et je vais arrêter de dire que je n’aime pas le cinéma français !)

Rien à foutre, Emmanuel Marre & Julie Lecoustre (France-Belgique, 2022) – 3/5: un film très vide sur le vide de la vie de Cassandre, hôtesse de l’air dans une compagnie lowcost. Avec Adèle Exarchopolous qui est magnifique, mais j’ai eu du mal avec le découpage en deux parties du film, la première la suivant dans ses multiples vols et les tâches liées à son métier, la seconde la voyant dans sa famille à Huy. J’ai hurlé intérieurement lors du monologue de son père à propos de l’intérêt de sa voiture de luxe (un 4×4 Volvo – c’est précisé), et il y a beaucoup d’autres conversations filmées sur le vif qui sont peu prenantes. Un film très moyen, pour moi.

Stranger in the Shogun’s City

Amy Stanley, Stranger in the Shogun’s City: A Japanese Woman and Her World: Japon – première moitié du 19e siècle. Fille d’un prêtre bouddhiste d’un petit village à l’ouest du Japon, Tsuneno était vouée à une vie tranquille d’épouse, proche de sa famille. Mais après trois mariages arrangés et trois divorces, elle n’en peut plus et décide d’aller à la capitale, Edo (la future Tokyo), à un mois de marche de là. Elle y entame une nouvelle vie, pour la plus grande partie dans la pauvreté et au service de divers nobles de la capitale.

Cette histoire pourrait être celle d’un roman, mais ce n’est pas le cas. Amy Stanley, spécialiste de l’histoire sociale du Japon, a retrouvé des archives, les lettres que Tsuneno a envoyé à sa famille, mais aussi celles de son frère, de sa mère et d’autres personnes. Elle nous raconte donc une histoire vraie, et fait le portrait de toute une société à une époque donnée. Elle explique la vie d’une femme, ses joies et ses peines, mais aussi son rôle parfois limité à celui d’un objet ou presque, qu’on peut renvoyer à sa famille si le mariage ne convient pas (si par exemple, elle n’arrive pas à avoir des enfants ou a un caractère trop marqué) – le divorce était courant et très facile à obtenir. Dans la seconde partie, Stanley décrit aussi une ville, Edo, à une époque où les shoguns ont encore tout le pouvoir, juste avant que le pays ne soit forcé à s’ouvrir au monde. Elle parle des grandes demeures et du petit peuple qui vit et survit sur place, elle détaille le fonctionnement du théâtre kabuki et des quartiers de plaisir, elle nous emmène dans les temples. C’est le portrait d’une ville qui n’existe plus, ravagée par les nombreux incendies de l’époque puis rasée par le grand tremblement de terre de 1923 et par les bombes de la Seconde Guerre mondiale.

Si l’histoire de Tsuneno est au final assez ténue, ce livre est surtout intéressant pour la description de la vie quotidienne au Japon, à Edo, pendant la première moitié du 19e siècle, avant que de grands changements ne surviennent. Je me suis parfois un peu perdue dans les nombreuses descriptions, et les nombreuses suppositions d’Amy Stanley quant à la vie de Tsuneno montrent que les documents de base, les lettres, n’apportaient que des bribes d’histoire. Mais ce livre reste malgré tout un portrait passionnant d’une époque, vue de l’intérieur, par une femme. Je dirais que mon erreur a été d’entamer ce livre comme un roman plutôt que comme un livre d’histoire et j’ai parfois été un peu frustrée par mon rythme de lecture assez lent.

Encore un livre donc pour le challenge « Sous les pavés, les pages » organisé par Athalie et Ingannmic, à propos de Tokyo cette fois-ci.

Amy Stanley, Stranger in the Shogun’s City: A Japanese Woman and Her World, Scribner, 2020, 352p. (non traduit).

Curtain of Rain

Tew Bunnag, Curtain of Rain: Claire, éditrice britannique, sent qu’elle commence à perdre la mémoire et désire retourner une dernière fois à Bangkok pour y rencontrer Tarrin Wandee, un écrivain qu’elle édite mais qui a ses propres soucis. Se mêlent à ce fil principal de nombreuses autres histoires qui au début du roman semblent n’avoir ni queue ni tête, comme si c’étaient des nouvelles écrites par Tew Bennag ou par Tarrin Wandee. Elles racontent le futur, mais surtout le passé, et il faudra attendre les dernières pages du roman pour comprendre les liens. C’est assez déroutant au début, et j’ai eu un peu de mal à entrer dans l’histoire même si les « nouvelles » sont intéressantes en elles-mêmes. Elles font le portrait d’une ville, Bangkok, et d’un pays, racontant comment l’armée américaine stationnée là lors de la guerre du Vietnam a modifié les moeurs et a incité une migration interne de la population depuis les zones plus reculées et pauvres comme l’Isaan.

J’avais noté l’auteur en lisant un recueil de nouvelles sur Bangkok; son style me plaisait et j’étais curieuse de lire un roman (écrit en anglais, même si l’auteur est thaï). J’ai eu un l’impression que ça manquait un peu de cohésion et qu’il est plus à l’aise dans le format de la nouvelle mais son écriture me plaît toujours.

La ville de Bangkok est souvent mise en avant et décrite à diverses périodes, et j’ai retrouvé des ambiances particulières qui m’ont rappelé mes visites sur place. Un extrait:

« Bangkok under a white haze: in all directions, a jagged skyline of irregular glass peaks that pierce the bleached canopy; unfinished buildings exposing naked concrete, rusting rebar, cranes perching on top like idle crows waiting for the next dubious downpour of construction cash. »

Un livre qui convient donc très bien au challenge « Sous les pavés, les pages » organisé par Athalie et Ingannmic, et qui donne envie de retourner à Bangkok (d’autres idées de livres qui parlent de la ville avec le tag « Bangkok« ).

Tew Bunnag, Curtain of Rain, River Books, 2014, 224p.