Le chant de Celia

Lee Maracle, Le chant de Celia: j’ai eu beaucoup de mal à rentrer dans ce roman, je ne comprenais pas trop où l’auteur voulait en venir avec cette histoire un peu fantastique de serpent à deux têtes et de vison qui observait les vivants, entrecoupés de chapitres à propos de bûcherons. J’ai failli abandonner, mais j’ai persévéré parce que c’était une lecture commune. Parfois, un roman reste pénible jusqu’au bout, ici, j’ai été subjuguée. Après ces premiers chapitres qui donnent l’impression qu’on lit un roman sans queue ni tête, l’histoire se centre sur Celia qui vit dans une communauté nuu’chalnulth, sur la côte du Pacifique du Canada, près de Vancouver. Elle a un don de voyance mais elle ne sait pas trop comment l’utiliser; elle porte le deuil de son fils qui s’est suicidé. L’histoire prend forme autour de cette communauté, et d’un événement en particulier qui la bouleverse, remettant en question leur vie actuelle et les replongeant dans les traditions ancestrales.

C’est un roman exigeant, surtout au début, mais une fois qu’on est plongé au coeur de l’histoire, on comprend mieux où Lee Maracle veut en venir. C’est un roman sur une communauté autochtone qui a perdu les liens avec les ancêtres et qui renoue avec eux. C’est aussi une réflexion sur la société d’aujourd’hui, régie par l’homme blanc, et sur la possibilité de vivre différemment. Comme je le disais plus haut, j’ai eu beaucoup de mal au début (et je me demande toujours à quoi servent ces chapitres sur les bûcherons, mais peut-être que je n’ai pas fait assez attention dans ma lecture), mais j’ai refermé le livre avec l’impression d’avoir lu quelque chose d’important, de violent mais de très beau aussi.

Une idée piochée chez Marie-Claude, et lue de concert avec Ingannmic (et Electra qui nous rejoindra plus tard).

Jonny Appleseed

Joshua Whitehead, Jonny Appleseed: Jonny, jeune homme amérindien (oji-cri) et queer, raconte les quelques jours qui précèdent son retour dans la réserve indienne où il a vu le jour et où il assistera à l’enterrement de son beau-père. Dans la grande ville de Winnipeg, il gagne sa vie avec du cybersex. Il décrit sa vie de tous les jours, sa relation avec Tias, les histoires du passé, notamment sa relation très intime avec sa kokum, sa grand-mère, qui a très vite remarqué ses différences, le surnommant « Two Spirits ». C’est souvent cru, les émotions sont à fleur de peau, la vie n’est pas facile. Et pourtant c’est très beau, le personnage de Jonny est très attachant.

Est-ce que j’ai été autant séduite qu’Electra et Marie-Claude qui ont conseillé ce livre ? Non, sans doute pas tout à fait, peut-être que c’est lié à la mauvaise passe dans laquelle je suis pour le moment avec mes lectures ? Et donc au fait que j’attendais beaucoup de ce roman ? Peut-être… mais il est clair que cette voix m’a marquée et que je lirai avec plaisir d’autres romans ce jeune auteur.

Where the dead sit talking

Brandon Hobson, Where the dead sit talking: Oklahoma – fin des années 1980. Sequoyah, adolescent cherokee âgé de 15 ans, est placé dans une famille d’adoption le temps que sa mère purge une peine de prison. Il y rencontre le jeune George, avec qui il partage une chambre, et qui est légèrement autiste, et surtout Rosemary, une jeune fille également d’origine amérindienne, par qui il se sent attiré et repoussé à la fois. Leur enfance a été compliquée, les ballottant de centres pour jeunes à des familles d’adoption pas toujours très bienveillantes. Ici, heureusement, ce n’est pas le cas: les Troutt sont des parents aimants, même s’ils sont parfois un peu bizarres; ils arrivent en tous cas à créer un environnement calme et positif pour les enfants.

Il ne se passe pas grand-chose dans le roman: on suit les pensées de Sequoyah, son adaptation dans la nouvelle famille, ses relations avec les autres enfants. On sent qu’il a été traumatisé, qu’il se protège et qu’il a du mal à exprimer ses émotions, mais c’est toute la beauté du roman qui permet d’entrer dans la tête de l’adolescent. J’ai aimé le fait que l’auteur n’a pas ajouté d’élément romanesque (les parents auraient pu être abusifs) mais qu’il introduit quand même un côté tragique, même si au final c’est surtout une chronique de la vie quotidienne d’un adolescent marqué par la vie. C’est un roman très touchant (et j’ai apprécié les références musicales aux groupes des années 1980).

Kuessipan

Naomi Fontaine, Kuessipan: Kuessipan, c’est un kaléidoscope d’impressions, de descriptions, de moments d’une vie. Ce n’est pas un roman qui se construit autour d’une histoire mais il tourne autour des Innus, ce peuple autochtone du nord du Québec. Ces vignettes racontent la réserve, le passé, le futur, les problèmes d’alcool et de violence, la chasse et la pêche, les tambours et les chants traditionnels… C’est court, ça se lit en moins de deux heures, et pourtant cela plonge le lecteur dans un monde inconnu. J’ai beaucoup pensé à Split tooth de Tanya Tagaq, il y a des ressemblances, mais cette dernière va plus loin, est moins classique dans son récit.

Comme j’ai vu le film, je n’ai pas arrêté d’y penser, j’ai tenté de retrouver les phrases qui l’ont inspiré – des phrases, des mots. Il a été co-écrit par l’autrice, et cela permet de mieux comprendre ce qu’elle voulait décrire dans son court roman. Les deux se complètent. Que dire d’autre ? J’ai aimé comment toute un monde se dévoile, comment ces vignettes laissent au lecteur une grande part d’imagination tout en créant un cadre. J’ai aimé me plonger dans ce Grand Nord méconnu pour moi. Mais c’était un peu trop bref (tout comme ma chronique).

Une lecture commune avec Electra et Marie-Claude.

A quality of light

Richard Wagamese, A quality of light: le révérend Joshua Kane est appelé par la police pour désamorcer une prise d’otages par Johnny Gebhardt. Les deux hommes se connaissent; enfants, ils étaient les meilleurs amis du monde, relié par un pacte secret. Joshua est Ojibway mais a été adopté par des parents blancs, de pieux agriculteurs qui l’élèvent selon les principes chrétiens de la bonté et de la justice. Johnny vit avec un père alcoolique et violent, et une mère qui a laissé tomber les bras; il est passionné par la culture indienne dans laquelle il trouve une certaine force et spiritualité. Les deux garçons se rencontrent à l’école et forment une amitié très profonde, le second initiant peu à peu le premier à sa culture d’origine. Au fil des pages, le lecteur apprend à connaître les garçons et les éléments qui ont mené à la prise d’otages.

La lecture de ce roman a été assez contrastée: il y a de longues descriptions de l’apprentissage du baseball qui ne sont pas particulièrement passionnantes pour quelqu’un qui ne s’intéresse pas aux sports (et encore moins les sports américains dont je n’ai aucune notion des règles) mais il y a aussi la découverte de la culture et de la spiritualité Ojibway. C’est passionnant de voir ces deux garçons que tout oppose grandir et former une personnalité propre, pleine de nuances. La seconde partie du livre devient parfois un peu plus politique et revendicatrice, les discussions entre Joshua et Johnny présentant des points de vue totalement opposés qui sont le miroir de ce qui se passait dans la société à cette époque (fin des années 1960 – début des années 1970). Et même si j’ai eu quelques moments d’ennui, la seconde moitié du roman m’a totalement convaincue. Ce n’est pas mon roman favori de Wagamese mais il reste très intéressant.

Killers of the flower moon

David Grann, Killers of the flower moon: the Osage murders and the birth of the FBI: dans le années 1920, le peuple le plus riche au monde, ce sont les Indiens Osage vivant dans l’Oklahoma. Quelques décennies plus tôt, ils avaient été repoussés sur des terres arides mais qui se sont révélées être très riches en pétrole. Et puis, de nombreux meurtres ont eu lieu et les coupables n’étaient pas trouvés. Après 24 cas, le FBI nouvellement créé par J. Edgar Hoover prend l’affaire en main et assigne l’enquête à Tom White, un ancien Texas Ranger. Celui-ci s’entoure de différents agents qui vont tenter d’élucider l’affaire en undercover et en utilisant les techniques les plus modernes d’investigation.

David Grann reprend l’enquête presque un siècle plus tard. Minutieusement, il décrit l’histoire des Osage et des familles touchées; il reconstitue une image de la société de l’époque, encore très Far West et peuplée de hors-la-loi; il explique comment les Osage ne sont pas considérés comme des humains à part entière, d’après les lois – racistes – en vigueur et comment ils doivent être épaulés par des garants. Ils sont peut-être riches mais ils ne peuvent pas gérer leur argent comme ils le souhaitent. Et évidemment cela provoque des convoitises. Grann a interrogé des descendants des protagonistes mais a aussi consulté pendant des jours et des jours les archives du FBI. Il délie tous les liens et propose même un coupable probable pour certains des meurtres non résolus. Ce livre est passionnant dans ses détails mais aussi pour l’histoire plus large qu’il raconte, celle des Osage et du racisme des Etats-Unis, chose que je connaissais un peu, mais pas sous cette forme-là. J’ai malgré tout un peu peiné dans ma lecture, sans vraie raison (à part que c’est une constante pour le moment: je traîne beaucoup sur la première moitié d’un livre et lis la seconde moitié d’une traite, justement parce que j’ai trop traîné et que j’ai envie de passer à autre chose). J’ai aussi une préférence pour l’autre David Grann que j’ai lu, The lost city of Z, sans doute parce qu’il a un côté très exotique et parce qu’il est écrit de manière moins linéaire.

Un livre lu dans le cadre du challenge non-fiction d’Electra.

The Break

Katherena Vermette, The Break: abandonnant le pavé en cours, je me suis lancée dans la lecture du roman de cette écrivaine canadienne Métis (d’ascendance européenne et amérindienne), originaire de Winnipeg au Manitoba. Il raconte des histoires de femmes, reliées entre elles par des liens familiaux, parfois ténus, mais souvent bien présents. Par une froide nuit d’hiver, Stella, une jeune maman, est témoin d’une altercation dans la neige, dans le quartier du Break, une partie de Winnipeg. Elle appelle la police mais n’est pas entièrement prise au sérieux. Le lendemain, la jeune Emily est admise à l’hôpital, couverte de sang. Elle a été violée. Autour d’elle gravite une série de femmes, sa mère Pauline qui doute de son partenaire, sa grand-mère Cheryl qui pense toujours à sa soeur décédée trop tôt, Rain (la mère de Stella), son arrière grand-mère, surnommée Kookom, qui est le lien vers le monde des esprits, et puis Phoenix, cette adolescente qui s’enfuit d’un centre de détention pour mineurs. Chaque chapitre donne la parole à l’une de ces femmes et décrit les événements qui ont mené à cette terrible nuit. Parfois intervient l’unique voix masculine, celle de Tommy, jeune policier Métis, qui veut résoudre l’affaire.

L’auteur trace un très beau portrait de ces Indiens des villes, déracinés mais ayant malgré tout gardé une part de leurs racines, même si elle sont souvent étouffées. Chaque personnage est minutieusement décrit, avec ses failles et ses doutes mais en refermant le livre, il en ressort une certaine chaleur, un certain espoir. Ma lecture n’a pas été facile, j’ai eu du mal à lire plus de 10 pages par jour; elle est tombée à un moment marqué par le stress et l’angoisse (l’annonce du confinement) et j’ai parfois dû me forcer à continuer. Mais quand j’ai attaqué les 60 dernières pages, je les ai lues d’une traite. Et j’ai bien fait. Les personnages continuent à me suivre encore aujourd’hui, quelques semaines après la fin de ma lecture. Je remercie donc Electra d’en avoir parlé !

Keeper’n me

Richard Wagamese, Keeper’n me: premier roman, en partie autobiographique, de Richard Wagamese, Keeper’n me raconte l’histoire de Garnet Raven. A l’âge de trois ans, celui-ci est enlevé de sa famille Ojibwé pour être placé dans une famille d’accueil. Il grandit loin de la réserve et des traditions ancestrales, et une fois adulte, se fait arrêter pour du trafic de drogue. En prison, il est contacté par un membre de sa famille qui l’a retrouvé. Il retourne alors dans son village d’origine où il apprendra à connaître sa culture indienne.

Après avoir lu le dernier roman de Wagamese, Starlight, j’ai décidé de lire tous les livres de cet auteur, en commençant par le premier, Keeper’n me. Il est écrit en grande partie dans un anglais parlé, parfois un peu difficile à comprendre et qui demande une certaine attention à la lecture, et c’est sans doute cela qui m’a un peu rebutée. Par contre, j’y ai retrouvé les descriptions très précises et lyriques de la nature, le lien entre celle-ci et les hommes, la beauté des paysages canadiens… Il y a aussi des touches de burlesque, notamment dans le retour de Garnet dans son village, ou dans d’autres épisodes de la vie locale. J’ai aimé lire ce roman mais je ne le conseillerais pas comme premier à lire pour cet auteur.

There there

Tommy Orange, There there: le roman raconte l’histoire de douze personnes d’origine indienne qui sont en route vers le grand powwow d’Oakland: Jacquie Red Feather l’ancienne alcoolique ayant abandonné sa famille, Dene Oxendene qui filme des interviews en souvenir de son oncle décédé, Orvil, l’adolescent qui a appris les danses traditionnelles en regardant des vidéos sur le net, et d’autres personnages dont certains aux intentions peu recommandables. Cette multitude d’hommes et de femmes m’a très vite perdue, d’autant plus que le chronologie est aussi fragmentée. Et dès les premières pages, j’ai eu du mal avec le style très contemporain d’écriture. J’ai sans doute manqué de concentration dans ma lecture, et d’attachement aux personnages, et je suis donc complètement passée à côté de ce roman que j’ai quand même terminé parce qu’il n’est pas très long. Je vous renvoie donc vers des critiques plus positives et plus nuancées, celle d’Electra, de Marie-Claude ou de Jackie Brown. Je rajouterais également que je l’ai lu à un moment où je déprimais pas mal – au mois de septembre – mon état d’esprit recherchait clairement quelque chose de moins urbain et de plus feelgood à ce moment-là.

Starlight

Richard Wagamese, Starlight: une mère s’enfuit avec sa fille, quittant un homme violent. Elles prennent la route et se réfugient dans une maison abandonnée dans un petit village. C’est là qu’habite Frank Starlight (le héros de Les étoiles s’éteignent à l’aube). Sa vie est tranquille, autour du ranch dont il s’occupe avec son associé. Et il part souvent dans la nature pour faire des photos d’animaux, des loups, des cerfs… Il recueille Emmy et sa fille et se rend très vite compte qu’elles ont été traumatisées, même si elles ne racontent rien. Il tente de les aider en les invitant à mieux connaître la nature qui les entoure. Mais l’ex d’Emmy veut se venger…

Une fois de plus, j’ai été happée par le récit de Wagamese, par ses descriptions de la nature, par la violence de l’histoire d’Emmy et de sa fille, par leur transformation au contact de la forêt et des animaux. C’est beau, troublant par moments, les mots me manquent. C’était le dernier roman de Wagamese, et il est inachevé. Les éditeurs ont fait de leur mieux pour proposer plusieurs fins, se basant sur ce que l’auteur avait raconté à ses proches et sur une nouvelle plus ancienne. C’est le genre de roman qu’on aimerait ne jamais refermer, et c’est triste de se dire qu’il n’y en aura plus d’autres… Il me reste heureusement quelques-uns de ses premiers livres à lire.