Les genres fluides

Clovis Maillet, Les genres fluides: ce livre était tentant, voici ce qu’en dit la quatrième de couverture: « Pouvait-on changer de genre au Moyen Âge ? Vivre en homme et devenir sainte ? Naître fille et finir chevalier ? Changer d’habits comme d’identité durant cette période dominée par la chrétienté ? (…) De Jeanne d’Arc à Hildegonde-Joseph en passant par Eugénie-Eugène, sainte Thècle ou le chevalier Silence, ce livre propose une réflexion sur le genre en retraçant une histoire trans de l’époque médiévale. »

Clovis Maillet décrit donc les vies de quelques femmes qui se sont fait passer pour des hommes, très souvent dans le contexte religieux, mais ça se limite un peu à ça, à des exemples. Il est utile pour écrire l’histoire de trouver des cas particuliers, mais il est aussi intéressant d’en tirer des conclusions, de faire un portrait plus large d’une société, de créer des liens et c’est toute cette partie qui manque à mon avis dans ce livre. J’ai eu l’impression de lire le début d’une recherche, pas la fin, d’où ma déception. Je me pose aussi la question de la transposition de concepts actuels à une société du passé, bien différente, et qui ne vivait pas la relation homme-femme de la même manière. Entre les lignes, j’ai cru comprendre aussi qu’il y a une bonne part de militantisme queer dans ce texte, vu le nombre de précautions que prend l’auteur. Cela ne m’a pas dérangée mais quand même fait tiquer un peu, dans le sens où je trouve cela bien dommage que notre société ait toujours des problèmes avec la transidentité. Heureusement, le livre n’est pas très long, je l’aurais d’ailleurs abandonné dans le cas contraire.

Clovis Maillet, Les genres fluides, Arkhê, 2020, 172p. (dont 143 de texte suivi)

Al-Andalus

Pierre Guichard, Al-Andalus: 711-1492: une histoire de l’Espagne musulmane: je n’ai pas grand-chose à dire sur ce livre – il s’agit donc bien d’une histoire de l’Espagne sous domination musulmane. Pierre Guichard résume tout cela en 200 pages environ, se focalisant sur les événements historiques. J’aurais aimé apprendre plus de choses sur l’économie, la culture et la vie quotidienne et je suis restée un peu sur ma faim mais je connais maintenant la base. J’avais d’abord entamé un autre livre, en néerlandais, de Luk Corluy, Al-Andalus 711-1492 mais je l’ai abandonné pour diverses raisons: trop de détails historiques, des contradictions, un style lapidaire et très sec avec des phrases sujet-verbe-complément l’une à la suite de l’autre, et de multiples répétitions des mêmes mots dans une phrase – comme si le livre n’avait jamais été relu. Le sujet m’intéresse mais je n’ai pas trouvé le livre idéal, donc. La première lecture m’a en tous cas beaucoup aidée à mieux comprendre mes visites à Cordoue et Grenade, ce qui était le but recherché. Et elle m’a donné envie d’en connaître plus sur l’histoire du monde musulman en général. D’autres lectures suivront donc probablement dans le futur.

Amour (dis)courtois à la cour d’Aliénor

Éléonore Fernaye, Amour (dis)courtois à la cour d’Aliénor: Poitiers, 1163 – A la cour d’Aliénor, on retrouve Béatrice (qui avait joué le mauvais rôle dans le premier volume de la série Noces occitanes). Elle y a développé ses talents de musicienne et chanteuse, et doit composer une nouvelle oeuvre pour le grand tournoi de la Saint-Michel. Mais elle est en manque d’inspiration. L’arrivée à la cour de Guilhem le Balafré, chevalier sans aucune expérience de la vie au château et sans intérêt pour le mariage, changera la donne. Elle lui propose un marché: ils simuleront une relation et cela sera une source d’inspiration pour la composition de Béatrice. Evidemment, les sentiments vont s’en mêler, de même que diverses péripéties qui les feront douter.

Il s’agit d’une romance, et on se doute bien que le parcours des amoureux sera semé d’embûches. Mais le récit est passionnant parce qu’il se passe à une période historique précise, et qu’il décrit la vie à la cour, avec troubadours et courtisans, tout un microcosme bien particulier qui prend vie sous la plume d’Éléonore Fernaye. Elle donne plein de détails très précis, notamment sur les repas, sur les joutes entre chevaliers et sur les vêtements. C’est sans doute cette partie qui m’a le plus intéressée même si j’aime aussi lire de belles histoires d’amour. Vivement la suite ! (ou une nouvelle série à une autre époque).

De Bourgondiërs

Bart Van Loo, De Bourgondiërs. Aartsvaders van de Lage Landen: je l’avoue, je ne connais que peu l’histoire de la Belgique et des régions environnantes, même après avoir étudié l’histoire à l’université. Les cours y étaient très spécifiques et très centrés sur l’histoire des institutions, ce qui n’était pas des plus passionnants. Ce livre de Bart Van Loo est un bestseller et comme un petit mouton, je me suis jetée dessus. L’auteur y raconte 1000 ans d’histoire, commençant à la fin de l’Antiquité quand une tribu germanique, les Burgondes ou futurs Bourguignons, traverse la frontière de l’Empire romain et s’installe en France, en Bourgogne. L’histoire s’accélère au 14e et 15e siècles, se terminant un peu abruptement en 1496 – les chapitres sont découpés en des périodes de plus en plus courtes, le dernier raconte un seul jour. Pendant cette période, les ducs de Bourgogne ont construit progressivement un empire, à force de conquêtes et de mariages judicieux, unifiant un territoire allant du nord de la Hollande à la Bourgogne en France et incluant les diverses régions de la future Belgique. C’est l’époque du commerce du drap et du textile et les villes flamandes deviennent très riches – bref, un atout de taille pour les ducs.

Bart Van Loo a un talent certain de conteur, et il emmène le lecteur dans un récit assez virevoltant, loin des écrits académiques un peu poussiéreux. Ce qui ne plaît évidemment pas à tout le monde, certaines expressions, certaines tournures de phrase, certaines comparaisons très contemporaines font parfois lever les sourcils, et je me suis demandée tout au long de ma lecture (je l’ai lu en néerlandais) comment les traducteur s’étaient débrouillés. J’ai eu écho que ce n’était pas entièrement réussi et cela ne m’étonne pas (j’ai vu le mot « langage ampoulé » par exemple). On est clairement ici dans de la « non-fiction littéraire » (un mot emprunté à David Van Reybrouck), très marquée par les spécificités de la langue néerlandaise. Quoi qu’il en soit, le récit est très vivant, avec de nombreux détails dans le déroulement des batailles mais aussi de la vie quotidienne – on apprend par exemple tout ce qui a été mangé lors de certains banquets – ou une psychologie très fine des ducs. Je me suis aussi rendue compte de mes lacunes en histoire: si les ducs de Bourgogne avaient été abordés à l’école, je ne connais rien de l’histoire de France, or celle-ci est entremêlée avec celle des ducs.

Bref, ce livre est passionnant, et je ne visiterai plus le villes flamandes du même oeil.

L’insoumise d’Aquitaine

Eléonore Fernaye, L’insoumise d’Aquitaine: 12e siècle, Aquitaine – Adélaïde, jeune veuve, gère le domaine qu’elle a hérité du mieux qu’elle peut, mais en tant que femme, elle n’est pas libre de faire ce qu’elle veut. En tant que vassale d’Aliénor d’Aquitaine et du roi Henri, elle doit obéir à leurs ordres et épouser Bouchard de Missé, un seigneur désargenté dont la réputation n’est pas des meilleures. Elle décide alors de prendre les choses en main et d’organiser un mariage fictif avec Messire Arnault, le frère de son mari. Mais tout ne se passera pas comme prévu. Ou peut-être que si, vu qu’on est dans une romance, et qu’il y a certains codes à suivre: des avances, des rejets, des incompréhensions, des drames….

Ce n’est pas mon genre de lecture habituel, mais ce n’est pas la première fois que je lis les romans d’Eléonore Fernaye (qui est une amie dans la vraie vie). J’ai beaucoup apprécié la plongée dans le monde du Moyen-Age, ses châteaux, ses grandes propriétés, ses chevaliers, mais pour une fois, c’est présenté d’un point de vue féminin. Adélaïde n’a certainement pas les libertés d’une femme moderne mais elle trouve malgré tout les moyens pour vivre une vie qui lui convient, s’occupant de son domaine et s’intéressant aux plantes pour soigner le gens (ce qui peut poser un risque, certains pourraient penser qu’elle est une sorcière). Et puis l’amour vient s’en mêler, même s’il y a beaucoup d’incompréhensions, et il y a quelques très belles scènes érotiques. Le roman permet de mieux imaginer la vie quotidienne à l’époque des chevaliers (j’ai appris pas mal de choses) et apporte une touche légère avec la relation entre Adélaïde et Arnault. Vivement la suite !

1349

Joren Vermeersch, 1349. Hoe de Zwarte Dood Vlaanderen en Europa veranderde: mon intérêt pour l’histoire de la Peste Noire n’est pas nouveau, j’avais déjà lu un épais ouvrage racontant son déferlement dans toute l’Europe mais j’étais restée sur ma faim concernant le niveau régional, celui de la Belgique. Avec cet ouvrage de Joren Vermeersch, à la base un mémoire de fin d’études, j’ai pu lire une approche vraiment locale, centrée sur Gand et Bruges essentiellement. L’historien explique que le manque de sources a poussé ses prédécesseurs à affirmer que la Flandre n’avait que peu souffert de l’épidémie. Or, après de nombreuses recherches et l’analyse de sources écrites oubliées auparavant, il arrive à la conclusion que la région a connu un taux de mortalité probablement similaire à celui des régions limitrophes. Il préfère cependant ne pas mettre de chiffre précis.

La seconde partie du livre s’attache aux conséquences économiques et sociales, comment la peste a complètement changé le monde des travailleurs. Il casse de nombreuses idées reçues et décrit le fonctionnement des guildes, tout particulièrement celles liées au textile. L’ouvrage est assez court, mais je l’ai trouvé passionnant, bien écrit et très accessible, même en néerlandais (seuls quelques mots très spécifiques m’ont posé problème). J’aurais par contre aimé que l’auteur retranscrive les citations en langue contemporaine (à la longue, je les sautais, tout simplement). A part cette remarque très accessoire, j’ai beaucoup apprécié ce livre.

Les explorateurs au Moyen Âge

Jean-Paul Roux, Les explorateurs au Moyen Âge: on parle toujours des grandes découvertes, de Christophe Colomb à Magellan, mais dès le Moyen Âge, des explorateurs sont partis sur les routes. A l’époque de l’empire mongol, au 13e siècle, il est possible de pénétrer au coeur de l’Asie, dans les terres musulmanes et jusqu’en Chine. Les voyageurs ont des buts divers: religieux en quête de conversion, ambassadeurs, marchands désireux d’élargir le commerce, aventuriers… Seuls quelques-uns ont laissé des écrits – notamment Marco Polo – souvent empreints de merveilleux, mais néanmoins, ces récits sont des témoignages à propos du monde tel qu’il était à l’époque. L’historien Jean-Paul Roux raconte tout ceci dans son livre publié à l’origine en 1985, et basé sur un texte plus ancien. Certains éléments sont un peu datés, d’autres sont plus difficiles à comprendre, comme la transcription des noms chinois à l’ancienne. Mais c’est malgré tout un livre intéressant sur la période. Et surtout, il m’a donné envie d’en apprendre plus sur les découvertes.

La nuit des béguines

Aline Kiner, La nuit des béguines: Paris, 1310. Au grand béguinage vit Ysabel, une femme qui connaît les plantes et les âmes. Un jour, elle recueille une jeune fille rousse, Maheut, qui ne veut pas expliquer d’où elle vient. Elle a été violentée et est en fuite. Son arrivée trouble le vie calme du béguinage. Résumé comme cela, ce roman semble être un récit palpitant mais ce n’est pas le cas. Et ce n’est pas nécessaire non plus. Aline Kiner plonge le lecteur dans un monde différent, dans la vie de ces femmes qui connaissaient encore une certaine liberté en vivant en communauté. Elle décrit aussi comment l’Eglise a peur de ces femmes et tente peu à peu de supprimer les béguinages, réprimant toute possibilité d’indépendance. Comme je le disais plus haut, il y a une histoire, celle d’Ysabel, de Maheut, d’Ade, de Jeanne, et aussi celle de Humbert, moine franciscain qui traque Maheut. Mais cette histoire ne semble qu’un prétexte pour décrire une période très particulière. J’ai beaucoup aimé et en même temps appris énormément sur ces femmes qui sont déjà quelque part féministes.

De bekeerlinge (Le coeur converti)

9200000060317837Stefan Hertmans, De bekeerlinge (traduit en français sous le titre: Le coeur converti): Stefan Hertmans possède une résidence dans le petit village provençal de Monieux. Il y passe ses journées à écrire et s’intéresse à l’histoire locale, notamment au pogrom qui s’est déroulé là au Moyen Age et au trésor caché qui n’a jamais été retrouvé. Il découvre aussi des anciens documents retrouvés au Caire qui parlent d’une jeune fille chrétienne convertie au judaïsme. Le village et la femme sont liés et Hertmans raconte leur histoire. Vigdis Adelaïs est une jeune fille appartenant à l’aristocratie de Rouen, de père normand (Viking donc) et de mère flamande. Elle rencontre David, étudiant juif à la yeshiva locale. Les deux jeunes gens tombent amoureux mais leur amour est impossible à cause de leurs origines et de leurs religions. Ils décident de fuir, retrouvant la famille de David dans le sud, puis fuyant les chevaliers partis à sa recherche et se cachant à Monieux, le petit village isolé des montagnes. Ce n’est que le début de l’histoire: l’époque est troublée, la première croisade se met en route et passe par le village, tuant au passage tous les Juifs, ou presque. Vigdis, devenue Hamoutal depuis sa conversion, fuit et commence un long voyage qui la mènera en Egypte. Stefan Hertmans suit ses traces, interrompant le récit pour raconter son périple contemporain. Il parle des lieux traversés par le couple, puis par la jeune femme, s’attache aux sources historiques, mais invente aussi, crée des personnages de chair et d’os.

L’écriture est précise, descriptive et j’ai eu le sentiment que le choix des mots en néerlandais était réfléchi pour qu’ils soient percutants et sonores, qu’ils se fassent le miroir de la violence et des difficultés de l’époque et de l’âpreté des paysages. Parce que l’histoire est parfois difficile à lire, elle peut être très intense et brutale. J’aimerais lire un bout de la traduction pour voir si les mots sont aussi efficaces dans leurs sonorités.

C’est une lecture qui ne laisse pas de marbre et qui renvoie à des sujets d’actualités contemporains. Elle dévoile aussi des pages de l’histoire moins connues (je ne me suis par exemple jamais attardée sur les croisades et surtout leur violence) tout en contant une magnifique histoire d’amour. J’ai beaucoup aimé et j’ai déjà dans ma PAL du même auteur Oorlog en terpentijn (Guerre et térébenthine), le récit contant la Première Guerre mondiale qui risque certainement de toucher quelques cordes sensibles chez moi. Je conseille vivement même si la lecture peut parfois être difficile à supporter.

The inheritance of Rome

6297739Chris Wickham, The inheritance of Rome. Illuminating the dark ages 400-1000: quand on parle du Moyen Age, on décrit toujours la féodalité, les châteaux-forts, les croisades – bref une période qui commence en l’an mil. Mais que s’est-il passé avant, depuis la fin de l’empire romain ? C’est ce que Chris Wickham explique dans ce gros volume qui se veut cependant très accessible. Il passe en revue l’histoire de l’Europe, celle de l’ancien empire romain, mais aussi au-delà des frontières. Il décrit la grandeur et la décadence de l’empire byzantin, la montée du nouvel empire musulman de l’Irak à l’Espagne et parle de l’histoire des régions périphériques de l’Irlande à la Russie en passant par la Scandinavie. Beaucoup d’attention est portée à l’histoire politique, aux changements de pouvoir et aux successions parfois difficiles mais certains chapitres sont également consacrés à la pensée de l’époque, au commerce et à l’évolution de la paysannerie. A mon goût, ces chapitres auraient pu être développés un peu plus mais il est évident que les sources historiques sont assez limitées. Une chose est sûre: j’ai beaucoup apprécié cette vision globale de l’Europe et même plus, mettant en parallèle les divers empires, contrairement à la vision très limitée et belgo-centriste que j’ai apprise à l’école et à l’université.