15 years

Angèle - 1998
Maman et moi, printemps 1998

Aujourd’hui, ça fait 15 ans que ma maman est décédée. Pendant des années, j’ai plus ou moins consciemment oublié la date mais quand on a commémoré le tsunami de 2004 en décembre, j’ai su que je ne pourrais pas masquer ce fait. Ma maman a eu toute sa tête jusqu’au 24 décembre, le jour de son anniversaire. La nuit, elle est tombée et a été hospitalisée, et est devenue complètement confuse. Elle n’a jamais réalisé que le tsunami a eu lieu, et ça m’a marquée. Elle a passé les derniers mois de sa vie en maison de repos, sans nous reconnaître, mon papa et moi. Avant-hier, j’ai été vérifier sa date de décès sur le faire-part, je me souvenais que c’était quelque part à la mi-mars mais je n’étais plus sûre de la date.

Ce 24 décembre, elle a fait promettre à mon compagnon de l’époque (que j’avais rencontré six mois plus tôt) de bien s’occuper de moi. Je comprends pourquoi elle l’a fait, j’aurais préféré qu’elle ne le fasse pas, ça s’est en partie retourné contre moi. « J’ai promis à ta maman, je ne peux pas te quitter » Et puis aussi, j’ai eu droit à plein de commentaires du genre « Depuis qu’elle est décédée, tu n’es plus la même, tu as changé ». Je suis sûre que si elle avait vécu plus longtemps, ma vie aurait été différente; elle m’aurait écoutée et peut-être poussée à prendre des décisions difficiles. Même si, je dois bien l’avouer, nos relations ont souvent été conflictuelles, mais elles étaient en passe de se résoudre. Elle a toujours voulu le meilleur pour moi, mais au point d’imposer ses propres désirs et angoisses (je devais épouser un avocat ou un médecin, apprendre à jouer du tennis, faire de bonnes études, elle s’était fâchée quand j’avais trouvé un boulot un mois après la fin de mes études – je n’allais quand même pas aller travailler chez ces « socialistes »…). Mais entre temps, j’étais devenue adulte et elle avait compris que j’avais trouvé une voie qui me convenait, malgré ses réticences.

Je me doute bien qu’elle n’aurait jamais atteint les 88 ans qu’elle aurait eu aujourd’hui, mais j’aurais aimé pouvoir me confier à elle un peu plus longtemps. Depuis son décès, j’ai été à la recherche de quelqu’un qui pourrait un peu jouer ce rôle de « maman » mais personne n’a pris le relais. Ma belle-mère de l’époque n’était pas du tout maternelle / maternante, et la nouvelle compagne de mon papa a tout simplement refusé de partager la moindre intimité, même quand mon père lui a demandé de le faire. Ma maman me manque, encore aujourd’hui.

Je me souviens que le jour où elle est décédée, il faisait froid et gris; l’hiver avait été long et sombre. Le jour de son enterrement, le printemps a commencé. Aujourd’hui, la météo est encore changeante mais les prochains jours s’annoncent très cléments.

Chroniques du désencombrement (II)

— début de la seconde partie —

Mais il restait le grenier sous le toit. Aussi long que la maison – 11 mètres – il ne permet pas de s’y tenir debout. Aux deux tiers, une poutre oblige à ramper pour accéder au dernier tiers. Il n’est accessible que par une trappe pourvue d’une échelle intégrée. Je n’ai donc pas pu m’y attaquer de suite, c’était trop compliqué. Deux amis sont venus m’aider et cela n’a pas été de tout repos. Je n’avais aucune idée de la quantité de choses que mes parents y avaient amassés. J’ai rempli une première pièce de caisses et quand j’ai demandé s’il restait beaucoup, on m’a répondu qu’on n’était qu’à la moitié. J’ai donc rempli une seconde pièce de caisses toutes plus poussiéreuses les unes que les autres. A trois, le travail a été relativement rapide mais en voyant ce qu’il me restait à trier, j’ai été découragée.

Nous étions un dimanche et je ne pouvais donc pas m’y mettre de suite. Cela m’a travaillé toute la semaine et j’ai été fort tendue. Et pourtant je savais que le tri serait rapide parce que je ne devrais pas fouiller dans chaque caisse. Le samedi suivant je m’y suis mise. Et très vite, j’ai été remplie de colère contre mes parents, ces personnes qui n’ont jamais rien pu jeter. Pourquoi ce grenier était-il rempli de tous mes jouets et livres d’enfance ? Pourquoi surtout était-il rempli de caisses de vêtements de moi bébé et petite fille ? Tout cela aura pu servir à d’autres enfants.

Il y a une explication, mais elle ne me satisfait pas du tout. Ma mère avait commencé à donner des vêtements à ma cousine qui avait alors de jeunes enfants. Ces habits étaient déjà passablement démodés à l’époque – mais venaient pour la plupart de chez Dujardin – et ma cousine a revendu une grande partie sur des brocantes. Quand ma mère l’a appris, elle s’est jurée qu’elle ne donnerait plus rien. Résultat: tout a été mis au grenier.

Au fil des années, ma mère a continué à ne rien vouloir jeter – c’était même quasi maladif. Quand elle est décédée, mon père et moi avons enfin pu liquider quinze ou vingt ans de revues comme Flair, Feeling ou Gael. Mais cela n’a pas été plus loin. J’ai proposé à mon père de l’aider à trier un peu le grenier et sorti une dizaine de caisses – il y avait notamment des préparations de cours de ma maman qui pouvaient aller dans les poubelles papier. Il n’a rien fait et tout remis en vrac à sa place.

Et voilà donc comment je me suis retrouvée avec plusieurs mètres cubes de choses vieilles et inutiles. Les vêtements et les jouets, mais aussi mon berceau et mon landau, des dizaines de pots à stériliser, l’uniforme de militaire de mon père, une immense caisse remplie de restes de papier peint, trois autres machines à café cassées – en plus deux déjà trouvées précédemment, et même une caisse remplie de tampax et bandes hygiéniques neuves. J’ai été abasourdie. Comment peut-on garder ça au point de le mettre au grenier ? Je l’ai raconté à ma cousine qui vide la maison de ses parents – le pire qu’elle a trouvé est une boîte remplie de petites culottes usées et trouées de marque Sloggi. Nos mamans étaient sœurs.

J’ai retrouvé le livre chinois pour enfants qui m’avait tant marquée étant petite, j’ai récupéré la mini machine à coudre pour enfants, j’ai trouvé quelques jolis verres rétro et au fond d’une caisse, bien cachées, des photos. Ce que j’ai récupéré ne remplit même pas un sac de courses du Delhaize.

Je savais que le tri serait difficile émotionnellement mais je m’en suis bien tirée au début. C’est au final ce grenier qui a provoqué le plus de sentiments négatifs. Pas de la tristesse et de la nostalgie comme je m’y attendais mais de la colère et de la frustration. Ces sentiments, je les accepte progressivement, je sais qu’ils font partie du processus, mais leur force m’a étonnée. Et je suis soulagée maintenant que l’essentiel de mon tri est terminé. Il reste encore beaucoup d’autres étapes mais je m’en occuperai progressivement dans les semaines qui viennent.

March 12

Il y a de ces jours qu’on redoute, qui font peur à l’avance, qui font pleurer même si on n’y est pas encore. Le 12 mars, ça fera 10 que ma maman est décédée. Je ne suis même pas sûre que c’était le 12 mars. Elle a été enterrée un 17, de ça je suis certaine. C’était le début du printemps et il y avait beaucoup de soleil après un hiver sombre et humide. Je n’ose pas demander la date à mon papa, je ne sais pas où est le faire-part de son décès, je ne sais même pas si j’en ai gardé. Je n’ai jamais été voir sa tombe. J’ai le vague souvenir qu’elle est quelque part vers la droite dans le cimetière. Je n’ai jamais pu me résoudre d’y retourner. Je sais qu’elle est bien entretenue et fleurie, mon papa y va de temps en temps. Je m’en veux quelque part de ne pas y être allée, j’aimerais pourtant mais je n’y arrive pas. Dix ans sont passés, je ne suis plus la même, je ne suis plus en couple, et je crois que ça aussi fait mal. J’aurais tellement aimé parler avec ma maman, lui dire tout ce qui n’allait pas, lui demander conseil… Elle m’aurait aidée, accompagnée, sans doute brusquée aussi mais surtout consolée en fin de compte. Elle me manque. Les amis, on peut pleurer sur leur épaule une fois, deux fois… mais ils se lassent et veulent qu’on passe à autre chose. C’est normal quelque part, il n’y a pas cette intimité. Une maman, la mienne en tous cas, n’aurait jamais abandonné. Et mon papa dans tout ça ? Ce n’est pas la même chose. Je sais qu’il est là mais nous ne parlons que très peu de nos sentiments. Il me comprend mais il y a une grande gêne de parler de choses intimes. Je n’ai pas de frères ni soeurs, je me suis sans doute trop appuyée sur mon ex-compagnon. Mais je sais que dans l’attente de ce jour anniversaire, je me sens fort seule avec des sentiments de tristesse dont je ne sais que faire, à pleurer toute seule devant mon ordinateur en écrivant ces lignes alors que j’aimerais me blottir dans les bras de quelqu’un.

La vie est faite de plein d’embuscades et d’étapes. Celle-ci en est une. Je vais passer au-delà…

My mom always wanted to marry me with a rich boy

Hier, j’ai reçu une carte postale (via mon père) d’un ami (appelons-le Gabriel) que je n’ai pas vu de longue date. Ce qui m’a fait repenser à certains agissements de ma mère quant à ma vie amoureuse. (Je reviendrai à Gabriel plus loin).

Pendant toute sa vie, ma mère a toujours espéré et voulu que je me marie bien. Venant d’un milieu modeste à l’origine mais qui a quelque peu monté en société grâce à de l’argent durement gagné – mes grands-parents originaires de la Flandre profonde étaient devenus bouchers à Bruxelles – ma mère, je pense, s’est toujours sentie mise de côté par des connaissances plus riches. Et cela s’est ressenti sur sa manière de m’éduquer et son désir de mariage « approprié ».

Dès mes six ans, elle m’a obligé à apprendre le tennis. Je ne voulais pas, je n’aimais pas, la raquette qu’elle m’avait achetée était trop lourde et trop grande pour moi. Mais tous les matins, en été, elle m’accompagnait aux cours et encourageait mes efforts maladroits. Un jour, je lui ai dit que je voulais arrêter et elle m’a répondu qu’il fallait pouvoir jouer au tennis pour briller en société. Je lui ai demandé pourquoi mais je n’ai appris la réponse que plus tard: dans sa jeunesse, elle avait été mise de côté par des « amis » riches parce qu’elle ne savait pas jouer.

En secondaire, j’étais dans une école chic, très BCBG, pas tout à fait au goût de ma mère (Saint-Michel était mieux) mais de bonne facture quand même. J’étais entourée de filles d’avocats et autres professions libérales rapportant bien et de « petits de ». Ces filles que je considérais comme des pintades parlaient tout le temps du rallye à venir, ou de celui qui était passé. Et ça m’énervait grandement. Mais ma mère voulait que je me trouve un bon parti et a trouvé un moyen de m’introduire à un de ces rallyes, elle était même prête à débourser beaucoup d’argent pour la soirée qu’elle devrait organiser elle-même. Sauf que je n’ai jamais voulu y aller. J’ai refusé de but en blanc et j’ai gagné la bataille.

Cela ne l’a pas empêchée de continuer à rêver au futur avocat que j’épouserais et c’était donc clair, j’étudierais le droit, parce que c’est là qu’on rencontre les beaux partis (c’est ce qu’a fait la moitié de ma classe). J’ai refusé. J’ai étudié l’histoire. Elle a continué à me proposer plein de garçons, notamment des fils de collègues de mon père, surtout les moins séduisants du lot. (Celui qui me plaisait le plus est devenu un « BV » (Bekende Vlaming) mais s’est révélé être de l’autre bord).

Ma mère a donc dû changer son fusil d’épaule. Elle se rendait bien compte que je ne me laisserais pas faire et que je ne rentrerais pas dans la « bonne société ». J’ai eu le malheur de lui présenter un ami de l’époque, futur historien comme moi (appelons-le Corentin). Je l’appréciais comme ami, on avait beaucoup de sujets de discussion en commun, notamment la musique, nous avons été à des festivals comme le Pukkelpop ensemble. Mais je n’étais pas amoureuse de lui. Il était trop indécis et mou pour cela, je savais que si nous avions une relation, je devrais décider de tout parce qu’il aurait peur à chaque fois de me décevoir. Sauf que ma mère est tombée amoureuse de lui et m’a tannée pendant des années, « un si gentil garçon », toussa, toussa. Jusqu’à son décès, elle m’en a parlé…

Exit Corentin, parce que bon, j’étais peut-être seule, mais je savais que je ne voulais pas de lui. Enter Gabriel (celui de la carte postale). Gabriel, célibataire, a 13 ans de plus que moi (j’en ai environ 21 à ce moment-là) et est le fils d’un artiste, ami de mes parents. Je pourrais soupçonner ma mère et la sienne d’avoir comploté mais je n’en suis pas sûre. En tous cas, ma mère tombe amoureuse de lui et essaie de me le vendre. Je fais quelques sorties avec lui et d’autres amis, nous partons même en groupe en Russie mais franchement, il ne m’intéresse pas. Sa passion, ce sont les armes et la chasse (la carte postale – dans un style rétro – le représente en Afrique près du gros gibier qu’il a tué). Il a des goûts simples et rustiques, il aime les promenades dans la nature. Le lave-vaisselle, c’est parce que sa précédente compagne en avait acheté un. Je pense qu’il était très amoureux de moi. Apparemment, il a dit à ma mère que si je voulais un mariage à l’église, il se baptiserait pour moi mais aussi qu’il m’accompagnerait sans problème à des festivals rock pour me faire plaisir. Je ne voulais pas d’un homme pareil, je voulais d’un homme avec qui partager des passions communes… J’ai entendu entretemps qu’il a épousé une « petit de » et qu’il a adopté une petite fille des Philippines. Et que donc, il chasse toujours…

Quant à ma mère, elle n’a plus essayé par la suite, elle a été très déçue, voire même fâchée de mes relations (sauf avec diane). Je pense que quelque part, je l’ai fait exprès, je voulais la choquer, mais c’est une autre histoire…

(Cela faisait un moment que j’avais envie d’écrire ce genre d’articles, sur des histoires passées de ma vie. Vous en voulez encore ?)