Le couple et l’argent

Titiou Lecoq, Le couple et l’argent. Pourquoi les hommes sont plus riches que les femmes: avec cet essai, Titiou Lecoq veut nous démontrer qu’à chaque moment de la vie, les femmes sont lésées dans la gestion de l’argent et en reçoivent moins. Elle prend pour exemple une fille puis femme fictive et l’emmène dans toutes les étapes de sa vie, expliquant tous les points où ça coince. Enfant déjà, elle reçoit en général moins d’argent de poche que les garçons. Elle dépense plus en produits de beauté « roses » (les rasoirs, les shampoings, les savons pour femmes, alors que la version pour homme est similaire et moins chère); c’est elle qui diminue son temps de travail pour s’occuper des enfants et cela a des conséquences sur toute sa carrière et sa pension. Et même dans les héritages, il arrive qu’elle soit lésée.

Tout cela est passionnant, mais à vrai dire je n’ai pas appris grand chose. Pourquoi ? Parce que ma mère s’est toujours occupée de questions d’argent et m’a expliqué une série de choses. C’est peut-être mon père qui gérait le compte commun mais ma mère voulait rester au courant. Et elle n’a jamais accepté d’avoir aidé à payer une maison qui était uniquement au nom de mon père (mais elle l’a fait). Comme je vis seule, j’ai aussi une bien plus grande maîtrise sur mon argent (que je gère clairement mieux que certains mâles qui vivent seuls), mais quand j’étais en couple, j’ai commis certaines des erreurs citées dans le livre, du genre payer une grande partie des factures parce que mon compagnon était au chômage. Je me souviens avoir ouvert de grands yeux quand lors d’un héritage, le notaire a dû expliquer à une cousine qu’elle devait ouvrir un compte à son nom pour la somme qu’elle allait recevoir, sinon, ce serait perdu dans les comptes communs et elle perdrait la somme en cas de divorce. Enfin c’est plutôt elle qui a ouvert de grands yeux, elle ne savait rien de tout ça.

J’ai encore un dernier bémol: ce livre est français, et parle donc de la législation française. Je n’ai pas eu le courage de chercher ce qu’il en était en Belgique, qui avait du retard dans les années 1960-70 dans le vote de lois en faveur de la femme, mais qui depuis, pour une série de questions de société (avortement, euthanasie) a pris bien de l’avance. Mais est-ce aussi le cas pour la question des femmes ? au niveau de la fiscalité par exemple, ou des héritages ? Quatre étoiles donc pour ce livre, parce qu’il doit être lu par le plus grand nombre, mais trois étoiles par rapport à mon propre cas.

Titiou Lecoq, Le couple et l’argent. Pourquoi les hommes sont plus riches que les femmes, L’Iconoclaste, 2022, 283p.

Réinventer l’amour

Mona Chollet, Réinventer l’amour: comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles: j’avais adoré Sorcières, j’avais donc de suite acheté ce livre-ci, à sa sortie. Il a traîné sur ma PAL un long moment, et après, ma lecture a été fort lente – je l’ai finalement terminé pour m’en débarrasser. Mona Chollet y écrit une longue description sur tout ce qui pose problème dans les relations hétérosexuelles, en premier lieu le côté dominant des hommes, ce qui se traduit par le fait que la femme se met très souvent en retrait, même sans s’en rendre compte. Il y a un important (en nombre de pages) chapitre sur les violences, avec de très nombreux exemples, avec beaucoup de commentaires sur le meurtre de Marie Trintignant et sur la manière dont la presse l’a relaté. Mona Chollet a étudié le problème sous toutes ses facettes, mais elle ne fait que décrire le problème, sans proposer de solutions pour « réinventer » l’amour. On pourrait sans doute en déduire quelques-unes, et peut-être faudrait faire lire ce livre aux hommes, mais je ne suis pas sûre qu’ils en aient envie. Je me suis moi-même assez fort ennuyée en lisant cette accumulation de problèmes, tout en me rendant compte qu’ils sont bien réels, mais je n’avais pas besoin d’un livre pour le savoir. Au final, c’est le côté négatif qui domine, sans qu’il y ait un nouveau souffle, de nouvelles idées pour espérer un changement.

Mona Chollet, Réinventer l’amour: comment le patriarcat sabote les relations hétérosexuelles, Zones, 2021, 276p.

Girl, Woman, Other

Bernardine Evaristo, Girl, Woman, Other: douze portraits de femmes, pour la plupart, britanniques, noires, mais pas toutes, de générations différentes, des jeunes, des femmes de la cinquantaine, des femmes âgées. Douze parties qui se relient parfois entre elles, tout particulièrement dans la conclusion. Une plongée dans les 20e et 21e siècles, dans l’histoire de l’immigration, dans la vie quotidienne au cours des dernières décennies, avec son langage, ses habitudes, le poids du patriarcat, la force du féminisme, les traditions et les nouvelles traditions.

Ce livre a longtemps traîné sur ma PAL. Je l’ai entamé en français, mais après une page, je me suis dit qu’il fallait que je le lise en anglais: la forme est en effet peu conventionnelle, avec de nombreux retours à la ligne et pas de points. C’est déconcertant pendant une ou deux pages mais très vite, je me suis habituée au rythme particulier que cette manière d’écrire constitue. L’anglais utilisé est contemporain, parfois un peu difficile à comprendre quand on entre dans le parler de tous les jours, mais ça ne m’a pas bloquée (je me suis par contre demandée comment tout cela était traduit, je n’ai pas vérifié). Je me suis très vite attachée à ces femmes tellement diverses, à certaines plus que d’autres, et je me suis reconnue dans certaines d’entre elles. Au fil des pages, toute une toile se tisse, créant un portrait très complet de la société contemporaine. J’ai adoré !

Bernardine Evaristo, Girl, Woman, Other, Hamish Hamilton, 2019, 453p. (il existe une traduction française par Françoise Adelstain, Fille, femme, autre).

At the movies – 28 (1930s)

Elsa Lanchester et Boris Karloff dans Bride of Frankenstein (via wikipedia)

The Man Who Knew Too Much, Alfred Hitchcock (Royaume-Uni, 1934) – 3/5: si on oublie que la version en dvd que j’ai vue était de qualité merdique, avec des sous-titres pour juste un tiers des dialogues, The Man Who Knew Too Much reste malgré tout un bon film de suspense dans lequel on voit la patte d’Alfred Hitchcock, notamment dans le montage parfois surprenant. Le couple Lawrence se voit mêlé contre son gré à une sombre histoire d’espionnage pendant leur séjour aux sports d’hiver à St. Moritz et leur fille est kidnappée. La suite de l’action se déroule à Londres et implique un méchant qui a le look de service, Peter Lorre, déjà vu dans M. Il y aura un remake en 1956.

Imitation of Life, John M. Stahl (1934) – 4/5: un film qui dénote très fort pour son époque: il met en avant des femmes (les hommes sont des personnages secondaires) et l’amitié entre une Blanche (Claudette Colbert) et une Noire (Louise Beavers), ainsi que la problématique d’une Afro-Américaine (jouée par Fredi Washington, elle-même afro-américaine à la peau claire – et non par une blanche comme dans le remake de 1959) dont la peau est tellement blanche qu’elle souhaite se faire passer pour une blanche, reniant par la même occasion sa mère à la peau noire (cette partie de l’histoire a posé de grands soucis aux censeurs du code Hays, le métissage étant très mal vu). Mais comme on est en 1934, le racisme reste très présent: Delilah, la Noire, habite au sous-sol et porte des vêtements peu seyants tandis que Bea, la Blanche, vit à l’étage et porte de superbes robes. C’est aussi Bea qui a l’initiative, exploitant les talents de Delilah et créant une marque de farine au nom de « Aunt Delilah » (on pense tout de suite à « Uncle Ben’s »). Sur l’affiche de cinéma de l’époque, ce sont uniquement les noms des acteurs blancs qui apparaissent en grand, y compris donc l’homme en seconde position (Warren William) alors qu’il n’a qu’un rôle très mineur (et il paraît bien plus âgé qu’il ne l’est, accentuant l’impression de différence d’âge entre lui et Bea). A noter aussi: Juanita Quigley, encore un bébé acteur – le truc à la mode de l’époque – qui jouait la fille de trois ans de Bea.

The Scarlet Pimpernel, Harold Young (Royaume-Uni, 1934) – 2/5: un film historique britannique racontant l’histoire du « mouron rouge », cet aristocrate anglais qui a sauvé de nombreux nobles français de la terreur de Robespierre en 1792. Avec Leslie Howard, parfait dans ce rôle, et Merle Oberon. Le film est assez dynamique, avec des scènes en extérieur, mais très silencieux – il n’y a quasi pas de musique. Mais au final, ce n’est pas très passionnant.

Ceci termine ma liste de films pour l’année 1934, marquée par la mise en place du Code Hays. Beaucoup de ces films m’ont paru très dépassés dans leurs thèmes et très vieillots, et je ne les conseillerais plus aujourd’hui, mais j’ai beaucoup aimé L’Atalante (ce qui m’a surprise) et Imitation of Life. Je poursuis avec 1935.

Alice Adams, George Stevens (1935) – 1/5: Alice Adams (Katharine Hepburn) aimerait pouvoir rencontrer un homme riche mais ses parents sont pauvres (toutes proportions gardées: ils ont quand même une grande maison – mais elle n’a pas l’argent pour s’acheter une nouvelle robe). Quant Arthur Russell (Fred MacMurray) l’invite à danser à une fête, elle fait tout pour l’impressionner (et le film tombe dans le ridicule et le niais). J’ai vraiment trouvé l’histoire pénible, d’autant plus qu’elle se termine sur un happy end alambiqué et invraisemblable. Et je n’arrive toujours pas à apprécier Katharine Hepburn (j’ai le vague souvenir que je la préfère plus âgée).

Anna Karenina, Clarence Brown (1935) – 3/5: un film romantico-tragique avec Greta Garbo qui fait sa Greta Garbo (à la longue, ça fatigue un peu, on a l’impression qu’elle ne sait jouer que d’une seule manière). Je ne connaissais pas l’histoire du roman de Tolstoi, ça m’a fait un rattrapage (même s’il manque des bouts). Avec Fredric March dans le rôle du Comte Vronsky. Avec aussi plein de clichés sur l’âme russe et le folklore qui est lié. A noter: des ours empaillés et des trains dans la neige.

Bride of Frankenstein, James Whale (1935) – 3/5: en regardant ce film, je me suis fait la réflexion que les films d’horreur de l’époque sont bien souvent meilleurs que les comédies de mœurs, et que pour une suite, il est vraiment réussi. On y retrouve Boris Karloff qui joue le monstre, et les scientifiques qui lui créent une compagne (Elsa Lanchester) à la coiffure conique légendaire. A noter: la musique de Franz Waxman et encore un rôle parfait pour la fantastique Una O’Connor (la commère du village et servante des époux).

La kermesse héroïque, Jacques Feyder (France, 1935) – 4/5: en 1616, à Boom, l’arrivée d’un duc espagnol et de sa suite met la petite ville en émoi. Le bourgmestre craint en effet pillages et viols décide de faire le mort. Mais c’est sans compter son épouse, et toutes les femmes de ville, qui décident de lancer une opération de charme pour accueillir les étrangers. J’ai cru au pire pendant les premières vingt minutes, les hommes étant vraiment cliché et couards. Et puis, dès que Cornelia prend le relais, le film prend une certaine ampleur et devient vraiment intéressant. J’aurais dû me douter qu’il s’agissait d’un film (mais aussi d’une farce) féministe: le générique cite d’abord le nom des actrices, ce qui m’avait déjà étonné à ce moment-là. Il est dommage que quand on cherche des infos, ce ne soit pas ce côté là qui est mis en avant, mais bien la couardise des hommes (en lien avec la Première Guerre mondiale). A noter: les superbes décors de la ville reconstituée en studio, les costumes. A ne pas noter: les accents franchouillards très dérangeants et parfois incompréhensibles (j’ai eu la flemme de chercher une version avec des sous-titres mais j’aurais dû). Une belle surprise au final !

Méfiez-vous des femmes qui marchent

Annabel Abbs, Méfiez-vous des femmes qui marchent: à vrai dire, j’ai écrit texte bien plus long sur ce livre pour mon boulot (ceux qui savent où je travaille le trouveront facilement, pour les autres, je peux vous envoyer le lien sur demande), vous trouverez donc ici une version courte et beaucoup moins structurée. Un avertissement: ne vous fiez pas au titre qui d’une horreur absolue (probablement le choix d’un éditeur mâle) et qui n’a rien à voir avec le joli titre en version originale: Windswept: Walking the Paths of Trailblaizing Women. Je l’ai acheté en français à cause de cette idée d’en faire un article pour le boulot – a priori je l’aurais acheté en anglais (mais rien à redire sur l’excellente traduction de Béatrice Vierne). Annabel Abbs mêle un récit personnel et l’expérience de six femmes (artistes) qui ont parcouru les sentiers, de Nan Shepherd à Simone de Beauvoir, de Gwen John à Georgia O’Keeffe. Suite à un accident qui l’empêche de marcher, Abbs commence une réflexion sur les récits des marcheurs et marcheuses et se rend compte que ce sont ceux des hommes qui sont toujours mis en avant. Après sa convalescence, elle a trouvé des récits de femmes et décide de marcher dans leur pas, en Angleterre, en Ecosse, au Pays de Galles, en France et même aux Etats-Unis. Elle raconte leur histoire et décrit ses propres expériences, tout en insérant de temps en temps les résultats d’une étude scientifique.

C’est passionnant du début jusqu’à la fin et j’ai dévoré ce livre en quelques jours. Je voulais au départ le compléter avec la lecture de Wanderers de Kerri Andrews, qui aborde le même sujet, et qui est même plus large au niveau du temps, avec des femmes du 18e siècle et des femmes qui ont marché récemment (Cheryl Strayed), mais le livre m’est tombé des mains. Trop d’extraits, un ton trop académique, et bien qu’Andrews insère aussi ses expériences personnelles, elles sont trop limitées, reléguées à la fin des chapitres et non entrelacées avec la vie des femmes comme dans le livre d’Annabel Abbs.

Pour une fois, j’ai mis de plein de post-it dans le livre, et du coup, voici une citation qui m’a beaucoup parlée:

« Pendant des années, je me suis sentie moi aussi en proie à cette crainte d’être seule et isolée. J’étais si fermement décidée à éviter d’être seule que je ne supportais plus la solitude. En outre, cette crainte me poussait, insidieusement, à faire des choix que je n’aurais peut-être pas faits. Elle pesait sur moi, me comprimait, tout à fait une camisole de force. »

Les grandes oubliées

Titiou Lecoq, Les grandes oubliées: pourquoi l’histoire a effacé les femmes: c’est une question que je me suis toujours posée, et évidemment quand j’ai vu ce livre, je me devais de l’acheter et de le lire tout de suite. Titiou Lecoq raconte d’une manière passionnante et sur un ton très direct et moderne l’histoire du monde (et de la France) en y replaçant les figures féminines. Elle parle des mythes qui expliqueraient pourquoi les femmes ont été reléguées à certaines tâches (ça implique le sang des règles). Elle décrit tous les métiers que pouvaient exercer une femme au Moyen Age, de chevaleresse à bâtisseuse de cathédrales. Elle explique comment un grand mouvement qui se met en place dès le 13e siècle et initié par les hommes enferme progressivement les femmes dans des rôles de plus en plus limités (la maison, les enfants). Mais elle parle aussi de ces exceptions, de celles qui ont tenté de sortir du moule malgré la force du patriarcat. J’ai aussi appris par la même occasion que le mot « autrice » existe depuis bien longtemps et qu’il a été effacé par l’histoire pendant de longs siècles. C’est passionnant et horrifiant à la fois, mais indispensable à lire. Cela manque juste d’une bonne bibliographie pour continuer ses lectures (il y a des notes de bas de page renvoyant à divers ouvrages mais c’est moins pratique et il est possible que ce soit un choix de l’éditeur plutôt que de l’autrice). Et encore une autre remarque: c’est très franco-français mais du coup, ma curiosité est encore plus grande pour la Belgique et j’ai découvert qu’il existe un Centre d’archives et de recherches pour l’histoire des femmes à Bruxelles. Un livre à lire et à offrir !

Le regard féminin

Iris Brey, Le regard féminin – Une révolution à l’écran: il y a de ces livres pour lesquels je n’ai pas envie d’écrire une longue notice qui expliquerait tout le contenu. Parfois j’ai juste envie de dire: lisez-le ! Le regard féminin fait partie de ceux-là. Iris Brey explique comment les femmes sont filmées au cinéma, et comment certains cinéastes, essentiellement des femmes, ont changé leur manière de les filmer. Je vous renvoie vers la page wikipédia:

« Pour savoir si un film adopte un regard féminin, Iris Brey propose de questionner les 6 points suivants:

  1. Est-ce que le personnage principal s’identifie en tant que femme ?
  2. Est-ce que l’histoire est racontée de point de vue du personnage principal féminin ?
  3. Est-ce que l’histoire remet en question l’ordre patriarcal ?
  4. Est-ce que la mise en scène permet au spectateur ou spectatrice de ressentir l’expérience féminine ?
  5. Si les corps sont érotisés, est-ce que le geste est conscientisé ?
  6. Est-ce que le plaisir des spectateurs est produit par autre chose qu’une pulsion scopique ? »

Depuis, je regarde les films et les séries différemment, m’interrogeant sur la représentation des femmes. Et je pense que c’est tout l’intérêt du livre.

Riot Grrrls : Chronique d’une révolution punk féministe

Manon Labry, Riot Grrrls : Chronique d’une révolution punk féministe: en voyant cette photo d’Eva, j’ai eu envie de lire ce livre. En 1990, j’avais 18 ans; je commençais à découvrir les musiques rock alternatives grâce à MTV (120 minutes, puis Alternative Nation). Tout d’abord, je n’ai eu accès qu’aux artistes les plus populaires, et puis, en 1993 ou 94, je me suis inscrite à La Médiathèque et j’ai commencé à emprunter des disques de tous ces groupes alternatifs. Je me rends compte en lisant le livre de Manon Labry que j’ai peu écouté les artistes du mouvement Riot Grrrls – qui dans mon esprit était plus large. J’ai entendu des morceaux de Bikini Kill mais jamais de Bratmobile ou Heavens to Betsy qui sont les fondatrices de ce courant. Par contre, j’aimais des groupes plus ou moins proches, comme Hole (j’en conviens, on est dans le plus populaire, là) mais aussi L7.

Revenons au livre: Manon Labry est française mais a étudié la culture américaine. Elle avoue d’entrée de jeu être un peu trop jeune pour avoir connu cette scène en temps réel mais y porte cet intérêt qui l’a poussée à écrire une chronique de l’époque et du mouvement. Son récit est quasi chronologique, contant les histoires des principales protagonistes à Olympia (état de Washington) au début des années 90: Kathleen Hanna et Tobi Vail de Bikini Kill, Allison Wolfe et Molly Neuman de Bratmobile, Corin Tucker de Heavens to Betsy. Elle explique comment ces artistes souhaitaient que le rock soit féminin, joué par des femmes pour des femmes, dans une optique très DIY. Il y a eu plusieurs manifestes et le mouvement s’est très vite étendu dans l’ensemble des Etats-Unis, et même en Angleterre (avec Huggy Bear). Il y a eu de nombreux contacts avec la scène hardcore de Washington DC (Fugazi, entre autres). Et surtout, il a aidé les femmes à créer une culture alternative qui soit moins dans l’ombre des hommes.

Manon Labry emploie un style très personnel, très punk, très proche du langage parlé – ce qui peut déstabiliser le lecteur. Ce qui a été mon cas d’ailleurs, pendant quelques pages, et puis je me suis habituée, le trouvant adapté au sujet. Cette lecture m’a donné envie de me replonger dans toute cette scène, d’écouter et de réécouter les disques marquants de cette époque. Et la partie féministe ne pouvait que me plaire.

Sorcières

Mona Chollet, Sorcières . La puissance invaincue des femmes: ou comment un livre qui a priori ne répondait pas à mes attentes m’a complètement convaincue et ouvert les yeux sur un sujet que je connaissais finalement peu. Je m’explique: j’ai acheté ce livre pensant apprendre beaucoup de choses sur l’histoire des sorcières (même si je savais déjà qu’il y avait une autre dimension), je l’ai refermé en connaissant mieux les problèmes qui poursuivent les femmes depuis des générations (je les ressentais mais sans arriver à les nommer). Mona Chollet prend comme point de départ les sorcières, souvent des femmes qui connaissaient de nombreux remèdes à une époque où la médecine n’existait quasiment pas, des femmes qui faisaient peur parce que les guérisons semblaient inexplicables, parce qu’elles étaient souvent indépendantes, veuves, vivant seules. Dès la Renaissance, les mentalités ont changé et leur liberté a été considérée comme de plus en plus suspecte. Elles ont été poursuivies et chassées.

Chollet explique ensuite comment la femme d’aujourd’hui est toujours critiquée, diminuée, prenant l’exemple des femmes célibataires, des femmes qui ne désirent pas d’enfant, des femmes qui vieillissent, des soins médicaux inégaux portés aux femmes. Je ne rentrerai pas dans les détails mais cette partie est particulièrement passionnante, cherchant à casser tous les préjugés et clichés. Je suis sortie de ma lecture grandie, plus confiante, plus sûre de moi, et sans doute plus décidée aussi à défendre mes droits en toutes situations. Je ne suis pas militante – je ne le serai sans doute jamais – mais je corrigerai les petites remarques qui peuvent sembler anodines de manière très simple et assurée mais sans tomber dans des discussions stériles. J’essayerai d’ouvrir les horizons d’autres personnes, tout comme Mona Chollet a ouvert le mien. A lire absolument !

(J’aurais aimé trouvé un livre sur l’histoire des sorcières mais parmi ceux renseignés dans la bibliographie, celui de Guy Bechtel, La sorcière et l’Occident, est épuisé et celui de Colette Arnould, Histoire de la sorcellerie, m’est tombé des mains parce que trop basé sur les textes et sans trop d’analyse.)

Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe

71aqxscp5klChimamanda Ngozi Adichie, Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe: offert par Margot lors de la Ronde des poches organisée par Armalite, ce court livre m’a complètement sortie de ma zone de confort. Je n’ai quasi jamais lu d’auteurs africains, sans doute par manque d’intérêt mais aussi sans doute parce qu’il y a tant d’autres livres à lire originaires de parties du monde qui me tentent plus (en gros les Etats-Unis et l’Asie – l’Afrique n’est pas le seul continent oublié dans mes lectures). L’auteur nigériane a écrit cette longue lettre à une amie – jeune maman – qui lui demandait comment élever sa fille selon les règles de l’art du féminisme. Elle propose différentes pistes, examinant les situations concrète qui se présenteront au cours de la vie d’un enfant et explique comment déjouer les pièges du sexisme. Je n’ai pas d’enfants mais le texte sonne très juste – sans être révolutionnaire -, certaines propositions sont souvent oubliées mais gagneraient à être défendues plus régulièrement. Je me suis retrouvée dans une partie du livre, moins dans une autre: le choix de la couleur des vêtements d’un enfant ne me concerne pas trop; par contre, aider à améliorer la confiance en soi est un combat de tous les jours, même pour moi, à l’âge adulte. L’écriture de ce manifeste est agréable et l’auteur n’hésite pas à lancer quelques piques pleines d’humour ni à critiquer certains travers de la société nigériane, ce qui rend la lecture encore plus plaisante. Et comme l’écrivait Margot dans la carte accompagnant le livre, il se lit le temps de boire deux grandes tasses de thé, ou dans mon cas, un grand verre de limonade, assise au jardin et profitant des premiers rayons de soleil du printemps.