Hier, j’ai fondu en larmes chez le dentiste. Et ce n’est pas parce que ses soins sont douloureux, loin de là. Il est mon dentiste depuis trente ans, il est également celui de mon papa, et a même été élève de mon papa. Il nous connaît donc bien. Il n’avait pas revu mon père depuis un certain temps, jusqu’à son rendez-vous fin octobre. Et donc quand il m’a vu hier soir, il m’a dit qu’il avait été triste de voir combien l’état de santé de mon père s’était détérioré. Et j’ai fondu en larmes.
Il a touché un point sensible chez moi; j’ai eu l’impression que pour la première fois depuis longtemps quelqu’un reconnaissait combien mon père avait régressé en quelques années. On parle souvent de la charge mentale des mères de famille, on ne parle presque pas de celle des aidants, même si dans mon cas, j’ai beaucoup délégué l’aide. Il me reste les problèmes administratifs à régler, la gestion de ses comptes – ce qui est tout à fait gérable. Mais je n’arrive pas à accepter sa vieillesse.
Je vais le voir une fois par semaine, le samedi. A chaque fois, je déprime. Je n’ai pas envie d’y aller, de constater une fois de plus tout ce qui ne va pas, de voir qu’il a à nouveau fait des taches sur ses vêtements, de voir les choses qui traînent, d’assister aux problèmes des autres résidents (je n’ose même pas dire ce que j’ai vu tellement cela peut paraître glauque – je parle de comportements des personnes, pas de la résidence et de son personnel, même s’il y a aussi à redire). Mes weekends commencent en milieu d’après-midi du samedi et j’ai du mal à évacuer ce que j’ai vécu. J’ai l’impression que mon temps libre est mangé par ces pensées peu joyeuses qui envahissent mon esprit à tout moment. Cela a surtout été difficile en rentrant de voyage, le contraste était si grand.
Je ne sais pas quoi faire. On me dit qu’il faut que je le supporte, que c’est mon rôle d’enfant. Mais je n’y arrive pas, je n’ai plus la force. C’est trop pour moi, fille unique, sans soutien d’un compagnon, voire même d’enfants. Cette charge mentale est trop grande et cela fait trop longtemps qu’elle est là. Ma maman a eu son premier cancer quand j’avais six ans, un second dix ans plus tard, un troisième encore dix années après. Et puis elle a eu la maladie de Parkinson avant de décéder. Et puis j’ai vécu avec quelqu’un qui a eu de nombreux problèmes et que j’ai tenté – sans succès – de soutenir. Et depuis (en fait même pendant), mon père se laisse aller, déclinant bien plus vite que des personnes de son âge, s’éloignant de moi de plus en plus. Il n’y a plus que très peu de rapport père-fille, il y a des exigences de sa part, de nombreuses plaintes, et parfois je réponds sèchement, n’en pouvant plus. Et évidemment je me sens coupable et égoïste, ce qui n’améliore pas mon état d’esprit.
J’aspire à des moments sans aucune personne malade dans mon entourage proche. J’aspire à une légèreté d’esprit.
Là, je fais une overdose.
Je compatis et je te souhaite d’être très douce avec toi-même. Tu as le droit de ressentir tout cela, ça ne fait pas de toi une mauvaise personne, bien au contraire. Tu vis des choses difficiles, et j’imagine bien, effectivement, à quel point cela doit être difficile de gérer cela toute seule. Je t’envoie pleins de pensées affectueuses et je te le redis: tu es une belle personne ❤
Merci, Isa, pour ces gentils mots. J’apprécie beaucoup. ❤
Je t’en prie 😘
Comme je te comprends, en ayant vécu que la moitié de ce que tu vis. Je tente, sans savoir si elle est adapté, une piste à explorer …. j’espere ne pas être trop en décalage ou abrupte. Je me dis, comme tu as délégué les tâches, les mettre de côté (même si la gestion de cette délégation prend encore occasionnellement du temps) et essayer de trouver une activité positive à faire quand tu vas voir ton papa. Si j ai bien compris, il est récalcitrant au plaisir donc ça risque d’etre compliqué. Mais quitte à épuiser de l’energie pour le moment, autant la mettre dans cette quête du truc qui va faire de ces rendez-vous autre chose qu’une horreur? Regarder des photos, passer de la musique que vous/il aime, …ou même si il refuse tout, t’assoir et lire un bouquin en restant une heure avec lui… parce que tu n’as aucune obligation à t’enteter dans la mise en place d’une relation à laquelle il ne participe pas (vonlontairement ou en raison de son état de santé). Et que tu as amplement mérité le droit de trouver une façon de fonctionner qui te permette de tenir sur la longueur, même si elle te convient à toi surtout et pas ou moins à lui (d’autant si c’est en partie une quête perdue d’avance). Tu peux juste être présente. Et même parfois pas, en sautant une semaine. Parce qu’au bout du compte, la quantité ne change rien aux données du problème, ni si tout ce que tu accumules sont des mauvais souvenirs pour plus tard et de l’épuisement. Reste la difficulté de le voir ainsi, tes attentes légitimes et déçues d’enfant de ton père, la culpabilité, la douleur… immense et que tu pourrais « traiter » ailleurs (psy, coach, ami-e-s), même si ce n’est jamais compartimenté à ce point.
Après le décès de ma maman, il ne me restait que des flashs de la douleur et l’horreur de la situation (très dure pour d’autres raisons) avant son décès. Ça m’a empêchée d’acceder au deuil en ne ressentant pas le manque d’elle mais juste l’horreur. Du coup je regrette (sans culpabilité parce que comme toi j étais prise dans un truc qui me paraissait inextricable) de ne pas avoir vécu, ne fut-ce que 5 min de temps en temps, des moments peut-être artificiellement compartimentés mais corrects.
Pour la charge mentale, si ça peut te mettre du baume au cœur, certains mouvements luttant pour les droits des femmes, dont celui ou je bosse, intégrent complètement au tableau tous les rôles de soin qui reposent uniquement sur les épaules des femmes (par manque d’autres personnes, d’hommes ou de services de qualité pour les aider vraiment, et de temps vraiment prévu pour s’en occuper sans s’epuiser) qu’elles soient filles, mères, sœur, grand-mère, voisines, …
Ce que tu vis est difficile, tu as le droit de crier ton ras-le-bol. J’espère que tu trouveras une façon de le vivre le moins sûrement possible. Je t’embrasse.
Comme toujours, Ness, j’admire le temps que tu prends à répondre, avec des mots justes et des propositions de solutions.
J’essaie souvent d’aiguiller la conversation sur les voyages, les siens et les miens, parce que là, il reste encore de l’intérêt. Mais quand j’essaie de creuser, quand je tente de le faire raconter les siens, j’ai l’impression qu’il a beaucoup oublié et ça ne donne pas grand chose. Mais il m’a écoutée avec intérêt raconter mon voyage au Japon, et c’est en effet un bon moment, même si très court (c’était le lendemain de mon retour, la semaine suivante, on était de nouveau dans les plaintes ou le « rien à dire »). (La solution serait de partir régulièrement – non je plaisante, là !)
Et je suis aussi désolée de ce que tu as vécu avec ta maman. Il y a des moments vraiment difficiles dans la vie et chacun réagit du mieux qu’il peut.
Je t’embrasse aussi.
Fille unique également, je vois mes parents décliner peu à peu. On est encore loin de ce que tu décris mais je le redoute. J’ai, à un moment, eu énormément de mal à les voir vieillir. J’en souffrais beaucoup jusqu’à aborder le problème avec ma thérapeute. Il m’a dit un truc qui a complètement changé ma vie : ce n’est pas à vous de les protéger. J’ai ressenti ça comme une libération (même si en l’écrivant ici j’ai presque l’impression que c’est hyper égoïste) : mes parents ont choisi d’avoir un enfant. Je les aime mais ça n’implique pas de me rendre malade en tentant de les épargner. Je ne sais pas si cela répond d’une même problématique que celle que tu évoques… Mais je te souhaite beaucoup de courage et de bienveillance envers toi. Belle journée
Oui, quelque part c’est la même problématique. Je dois m’épargner, même si mon papa ne va pas bien. Je peux le soutenir mais je ne dois pas me sacrifier.
Quant à tes parents, ils ne sont pas les miens et tu auras certainement une expérience tout à fait différente. Je te souhaite le meilleur.
Merci pour ton message et bonne journée !
J’avais compris entre les mots que voir ton père ne t’étais pas facile. Je te souhaite du courage et surtout le droit de aussi prendre du temps pour toi, rester parfois en retrait.
Merci pour ton message !
Bonjour Sunalee, je te lis mais ne commente pas, j’aime beaucoup ton univers, mais je ne trouve pas souvent de points communs pour que je puisse rebondir. Sauf là, malheureusement …
Ma mère est décédée depuis un an, mais cela faisait depuis 2011 qu’elle se battait contre un cancer, puis des rechutes. Tout s’est accéléré la dernière année de façon très lourde, avec régulières visites à l’hôpital, crises de démence où elle ne nous reconnaissait plus, et puis toujours sa relation toxique avec mon père, dont mes soeurs et moi avons été les tampons non-consentants durant toute l’enfance.
Ce fut très lourd (et pire après, vu ma famille horrible … Un enterrement digne de Festen et une bataille d’héritage ridicule qui par coincidence est arrivée en même temps que celle très médiatisée de Johnny Hallyday …). Pour ne rien te cacher, les seules choses qui m’ont fait tenir sont ma relation fusionnelle avec une de mes soeurs (nous avons un an de différence, et nous n’avons que nous deux, le reste de la famille même notre autre soeur étant vraiment dangereux.) et c’est très con mais une activité que j’avais envie de faire depuis longtemps : du trapèze tous les jeudis. Je me souviens très bien que j’avais mes visites à l’hôpital quotidiennes, avec le soutien de ma soeur, et cette bulle de 2h où j’étais une élève comme les autres, où je pouvais me dépenser et m’amuser loin de tout ça, et recharger mes batteries.
Cela ne peut pas vraiment t’aider, mais à défaut d’une famille peut-être as-tu quelques amies qui peuvent te voir régulièrement, que tu puisses te décharger un peu ? Et je ne sais pas trop quelles activités tu pratiques, mais une prenante et si possible sportive est vraiment une bonne solution.
Pardon d’avance si ma réponse paraît obvious ou intrusive, j’essaie juste de te donner des clés par rapport à mon expérience, qui doit être tout de même différente de la tienne mais on ne sait jamais.
Il me semble avoir lu quelque part que ton père avait une compagne non?
En attendant force et courage à toi, c’est difficile mais malheureusement il faut tenir. MAIS tu as le droit aussi parfois d’en avoir marre, car oui on ne parle pas assez de la souffrance des aidants, qui doivent être deux fois plus forts.
Ne t’excuse pas pour ton commentaire, c’est intéressant de lire ton expérience et je suis triste pour toi que cela ait été si compliqué. J’ai au moins cet avantage, en tant que fille unique, il n’y a pas de soucis d’héritage.
Je me rends compte qu’écrire ce billet a déjà beaucoup aidé, ainsi que les commentaires de tout le monde. J’ai réussi à mieux gérer ma culpabilité et ma frustration, notamment en parlant un peu avec le médecin généraliste de mon papa qui m’a confirmé que peu importe l’endroit, il ne s’y sentira jamais bien.
Mon père avait en effet une compagne, mais elle a fait une grosse dépression, et c’est en partie en voulant l’aider que mon père a perdu pas mal de forces. Cela va faire un an qu’ils ne se sont pas vus, je pense qu’elle ne souhaite pas/plus le voir. Ce qui n’aide pas, évidemment.
Bonne journée (et n’hésite pas à écrire plus de commentaires 😉 )